Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangers au village, qui tuèrent plusieurs soldats à l’ennemi. Voilà que, pour le fait seul de l’agression à main armée commise sur le territoire de la commune, le village de Cherizy, à titre de représailles et de solidarité, a été l’objet d’un retour offensif de la troupe prussienne, laquelle, sans enquête, sans examen, sans distinction de personnes, a procédé froidement, méthodiquement, à l’incendie du village au moyen du pétrole et de la poudre, et de l’attaque simultanée des granges et habitations sur quatre points convergens, jusqu’à la destruction complète du malheureux pays. Il ne s’est pas même inquiété de savoir si les habitations incendiées renfermaient des femmes, des enfans, des vieillards, des malades. À Houdan, le même témoin affirme que la rigueur a été plus dure encore. Ce hameau était innocent de toute agression, même du soupçon. Il a été brûlé, saccagé, livré au pillage, en punition de ce que dans le voisinage, l’ennemi n’avait pu pénétrer à Dreux, qui avait ce jour-là fermé ses portes. On ne procède pas différemment en Amérique et en Afrique envers les huttes des hordes sauvages. C’est donc vainement que M. Heffter écrivait, il y a dix ans, sur le droit international, un excellent livre rempli des plus philanthropiques maximes, dans lequel il professait à Berlin même que la destruction du pays ennemi et les exécutions militaires n’étaient plus de notre siècle, qu’il fallait de bien grandes extrémités pour se les permettre, et que jamais elles ne pouvaient être le but direct d’un acte légitime de la force armée. M. Heffter professait aussi, avec tous les publicistes anciens et modernes, que la guerre devait s’appuyer sur des causes positives, et qu’elle ne pouvait dépasser le but avoué. Or, depuis Sedan, quelle pouvait être la cause subsistante de la guerre ? Le jour où l’empereur Napoléon avait rendu son épée, il n’y avait plus de raison plausible pour continuer la lutte. L’armée prussienne elle-même a cru que la guerre était finie ; c’est un fait de notoriété publique. Passer outre et marcher sur Paris, c’était rentrer dans la voie des invasions et des passions d’un autre âge ; mais le cri était poussé : aux champs catalauniques ! comme si l’héritier de Frédéric II devait continuer le roi des Huns, et la civilisation reculer de quatorze siècles.

Les haines nationales, les luttes armées de race à race, sont d’un temps qui n’est plus. Le bon sens, le sentiment moral, l’instinct de la civilisation, en interdisent le réveil. Coupables sont les gouvernemens qui provoquent le retour de pareils malheurs pour l’humanité ! L’insulte publique adressée à un peuple, le menace de son humiliation, l’oubli de ses droits naturels et imprescriptibles la violation à son égard des lois fondamentales du droit des gens sont les sinistres précurseurs de vengeances séculaires des nations. L’Europe du xixe siècle devait-elle redouter la triste résurrection de ces