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le frottement journalier des bataillons efface peu à peu les aspérités d’humeur, et dissipe les vains soupçons : le danger bravé côte à côte force, en dépit du préjugé, les citoyens à s’estimer.

Les différences subsisteront entre les esprits comme entre les Quartiers. Les officiers des faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré, de la Bourse, du Louvre, du Luxembourg, de l’Opéra, ont eu de la peine à cesser de traiter leurs soldats de messieurs ; mais la courtoisie, la délicatesse des manières, la tenue soignée, coquette même des soldats, les grâces de la conversation, continueront d’être la marque distinctive de ces mobiles du meilleur monde. Leur courage digne des grands noms qui fourmillent parmi eux, a cette espèce de calme que donnent l’éducation et les sentimens élevés. Une bravoure moins réfléchie restera le partage des ouvriers insoucians et gais de Popincourt, de Reuilly, des buttes Chaumont. Le Panthéon, l’Observatoire, les Gobelins, ne perdront pas l’habitude d’une certaine docilité qu’ils ont contractée sous le patronage des classes savantes qui ont fixé dans leur sein leurs dieux pénates. L’exactitude, le bon ordre, le devoir bien rempli, seront toujours du goût des enfans que le commerce élève autour de l’Hôtel de Ville, du Temple, au Marais, à Saint-Laurent. Les bourgeois de Batignolles se sont bravement conduits au Bourget, et leur exemple eût été suivi au besoin par ceux de Passy et de Vaugirard. Saint-Denis, ville de manufactures, a supporté courageusement les horreurs de la guerre. Les jardiniers économes et industrieux de Sceaux manient le fusil aussi bien que la pioche ; ils ne troubleront jamais la paix de la cité, ni ne voudront se compromettre avec Belleville et Charonne, dont il serait d’ailleurs injuste de juger absolument par leurs clubs et leurs meneurs. Toutes ces qualités réunies forment les vertus militaires, une seule exceptée, la discipline. Il faut bien reconnaître que l’obéissance est le mérite particulier dont les mobiles parisiens se piquent le moins. Les trente sous assignés aux jeunes soldats de la province ont pu dans le principe exciter la jalousie des bataillons de Paris, dont la solde a été bientôt portée de 1 fr. à 1 fr. 50 centimes ; cependant l’exemple de la soumission donné par les premiers n’a pas été l’objet de la même émulation. L’enfant de Paris est turbulent, et les circonstances n’ont pas permis de le tenir éloigné des excitations de la place publique, des influences de la camaraderie, qui détournent des devoirs, des plaintes du foyer domestique et des baisers maternels, qui amollissent les âmes. Nous ne parlons pas d’autres habitudes contre lesquelles il est loin de s’armer de la sévérité d’un Caton. On n’a pas oublié les fredaines du camp de Saint-Maur, dont les Parisiens, désireux de dîner en famille, franchissaient journellement les remparts en dépit de toutes les menaces