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bruyante dans les principales villes d’Allemagne de l’anniversaire de la bataille de Leipzig. Il m’a été donné d’assister à une de ces fêtes à Munich en 1860. Elle avait lieu dans un jardin public, au fond duquel, sur une estrade, un orchestre jouait des airs nationaux et des chœurs répétaient les chants de guerre de 1813, entremêlés de poésies de circonstance où nous n’étions pas plus ménagés. Derrière l’estrade, une pièce d’artifice avec accompagnement de feux de Bengale termina la fête par le tableau de la bataille. Dans toute l’étendue du jardin, d’honnêtes bourgeois avec leurs femmes et leurs enfans, groupés autour de petites tables, fumant leurs pipes, mangeant du jambon et buvant de la bière, n’interrompaient leurs paisibles causeries que pour chanter à pleins poumons les refrains des chœurs. Nulle émotion à la présence d’un Français qui avait mis très ostensiblement dans sa poche le ruban aux couleurs nationales allemandes qu’on lui avait donné à l’entrée, comme aux autres assistans, et qui ne répondait qu’en français, soit aux organisateurs, soit à ses voisins. Je me représentais la présence d’un Anglais dans une fête du même genre à Paris, lors d’un de nos accès de fureur contre l’Angleterre : quelles clameurs, quelles menaces n’auraient pas été préférées ! Les violences n’eussent été chez nous que la fièvre d’un jour ; le calme enthousiasme de ces bourgeois de Munich attestait la conviction lentement formée, mais inébranlable, d’un devoir rempli, et comme l’observation d’une consigne dans la façon de le remplir.

Une extrême ténacité dans les idées, une discipline uniforme et sévère dans l’exécution, se cachent en effet sous la fausse bonhomie des Allemands. De là cette facilité avec laquelle ils se sont prêtés à deux institutions auxquelles résiste ailleurs l’indépendance, ou, si l’on veut, l’égoïsme de l’esprit de famille : la double et universelle obligation de l’instruction et du service militaire. La combinaison de ces deux institutions appartient en propre et depuis longtemps à la Prusse ; elle s’est étendue, à partir de 1866, au reste de l’Allemagne. Les pays qui l’ont adoptée y ont puisé une grande force, ils y ont trouvé aussi, nous l’avons appris à nos dépens, le plus formidable instrument de guerre contre la France. Il n’y a qu’à lire les rapports adressés sans relâche de 1866 à 1870 par un observateur aussi exact que compétent, M. le baron Stoffel, au gouvernement impérial français ; ils font peser sur ceux qui les ont reçus et qui n’en ont pas tenu compte une terrible responsabilité. Nous ne les oublierons plus, ces propositions dans lesquelles notre attaché militaire à Berlin résumait, il n’y a pas un an, l’opinion courante en Prusse, et dont un incroyable aveuglement devait si tôt nous condamner à voir sur notre sol le commentaire en action : « L’armée