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cinq mois, et où il a eu jusqu’ici le premier rôle. Nos armées de province, de leur côté, ont visiblement éprouvé des échecs, dont elles se relèveront, mais qui les réduisent à une impuissance momentanée. L’armistice qui vient d’être signé, en s’étendant à la France entière, en suspendant toutes les hostilités sur terre et sur mer, conduit nécessairement à des négociations. Ces négociations elles-mêmes peuvent conduire à un congrès qui se trouverait être le médiateur naturel dans le sanglant conflit qui s’agite, de sorte que toutes les chances semblent se réunir aujourd’hui en faveur d’une grande et sérieuse tentative de pacification. Les imaginations qui vont vite n’ont pas manqué de croire que M. Jules Favre était allé négocier la paix définitive. En réalité, rien n’est préjugé, au moins ostensiblement, par la convention de Versailles ; tout reste à examiner, à résoudre, et à la moindre réflexion on comprend en effet que M. Jules Favre ne put se croire autorisé à engager la France. Voici donc quelques jours consacrés à la grande question du rétablissement de la paix dans cette interruption du bruit des armes. C’est un commencement ; mais il est bien clair que le succès de cette tentative tient encore à bien des circonstances. Il dépend surtout du roi Guillaume et de M. de Bismarck, comme il dépend aussi de l’assemblée française dont la réunion est une des conditions de l’armistice, comme il dépend enfin de l’influence que l’Europe peut exercer sur les négociations qui s’ouvriront. Il s’agit avant tout de savoir dans quel esprit on abordera ces négociations, si l’on veut signer la trêve de l’humanité et de la civilisation entre deux grands peuples, ou s’il n’y a qu’un vainqueur voulant abuser de la force.

Certes, à ne considérer que les intérêts supérieurs de l’Allemagne, en écartant les passions de vulgaire convoitise, la paix, une paix honorable et juste ne serait pas seulement possible, elle serait vraisemblable. Que peut souhaiter l’Allemagne aujourd’hui ? Elle est constituée dans son unité, elle surabonde en quelque sorte de puissance ; ce qu’elle a voulu, elle l’a réalisé. La France n’a plus rien à lui disputer, si ce n’est par les travaux de la civilisation et de la paix. Que peuvent envier la Prusse et M. de Bismarck ? Le roi Guillaume est désormais empereur d’Allemagne ; il s’est fait couronner en plein palais de Versailles, au milieu de toute sorte de princes germaniques accourus autour de lui comme des feudataires empressés à saluer leur nouveau suzerain. Il a respiré l’encens de l’adulation teutonne, et, si l’on était tenté de rire, on trouverait plus d’un détail comique dans les récits de cette étrange cérémonie. Voyez-vous par exemple la statue de Louis XIV représentée sur son piédestal de la cour d’honneur de Versailles comme « émerveillée » au bruit des hurras qui accompagnent la proclamation du nouvel empereur ? Prédicateurs, choristes de la chapelle, soldats et princes, tout a été de la cérémonie « impérissable. » Il est du moins bien vrai que par elle-même cette solennité était un signe