Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bienfaits envers ces étrangers n’ont eu pour résultat que de les aider à nous dépouiller. Déjà Tacite disait des Germains : « Ils aiment les présens, mais ils ne se croient pas obligés par ceux qu’ils reçoivent ; gaudent muneribus… nec acceptis obligantur. » Le caractère allemand n’a pas changé à cet égard depuis dix-huit siècles, et pour achever de s’en convaincre il suffit de remarquer que M. de Bismarck acceptait de Napoléon III, il y a quelques années, le grand cordon de la Légion d’honneur, et le roi Guillaume trouvait au palais de Compiègne comme à celui des Tuileries une gracieuse hospitalité. Les Allemands, cela est clair, procèdent envers la France, ainsi que l’avaient fait leurs aïeux envers la Prusse polonaise et le Slesvig, en envoyant dans les pays qu’ils projetaient d’envahir des pionniers, des enfans perdus, chargés pour ainsi dire de faire les logemens de l’armée, et qui leur ont ensuite servi d’espions. Cette avant-garde aurait ouvert aux Prussiens les portes de Paris, si nous ne l’avions, un peu tardivement, il est vrai, forcée de déguerpir. Cette infiltration qui facilita la migration armée dont nous sommes actuellement la victime, nous n’avons pas eu seulement le tort de ne point nous en préoccuper, nous l’avons encore appelée et favorisée par nos fautes, nos faiblesses et nos erreurs. Chez nous, le goût du plaisir et du bien-être a beaucoup affaibli les habitudes de travail. Ce relâchement se fait sentir dans toutes les classes de la société. Les fonctionnaires se sont acquittés de moins en moins de leurs devoirs, les chefs de la hiérarchie administrative ont été plus préoccupés de recevoir somptueusement ou de solliciter de l’avancement que de la bonne gestion des affaires ; le commis n’a plus que médiocrement rempli sa tâche, et s’est négligé comme le patron ; l’ouvrier en a pris à son aise, désertant sans cesse l’atelier pour le cabaret. Avec ses habitudes laborieuses, sa consciencieuse application, l’Allemand nous a fait dès ce moment une redoutable concurrence. Les maîtres ont préféré ces étrangers parce qu’ils en obtenaient davantage. Il n’est pas jusqu’aux savans allemands qui ne soient venus s’offrir ici au rabais, et l’on a maintes fois rencontré chez eux plus d’instruction et de zèle que chez les nôtres. Tous ces Germains parlaient d’ailleurs couramment notre langue, tandis que nous ne prenions pas la peine d’apprendre la leur. Ils savaient de la sorte ce qui se passait chez nous, tandis que nous ignorions ce qui se passait chez eux. La connaissance du français a permis aux Allemands de se servir de tous nos travaux, et à peine avons-nous pu consulter les leurs. Voilà comment ils sont arrivés graduellement à nous égaler, à nous dépasser même dans la plupart des branches de l’activité humaine. Alors qu’en France une foule considérable croupissait dans une déplorable ignorance et une routine obstinée, chez nos voisins, nos ennemis, l’instruction populaire faisait de rapides