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taient par milliers. Le soir, l’empereur, écrasé par la défaite, télégraphiait à l’impératrice cette incroyable dépêche, datée de Carignan : « Il y a eu encore un engagement aujourd’hui sans grande importance. Je suis resté à cheval assez longtemps. »

Le 1er septembre, après les combats du Petit-Rémilly et de Bazeilles, à l’aube d’une journée sereine, le carnage, qui durait depuis trois jours, recommençait plus horrible. Mac-Mahon, replié sous le canon de Sedan, étendant son armée sur la rive droite de la Meuse, faisant face aux Saxons et aux Wurtembergeois postés à Rémilly et commandés par le prince de Saxe, va maintenant avoir contre lui toutes les forces de l’armée prussienne, excepté le corps d’armée du prince Frédéric-Charles, qui tient tête à cette heure même aux troupes de Metz, et recule un moment devant leur violent effort. Qu’on se figure ce coin de terre française inondé d’ennemis, fourmillant de troupes allemandes. Sur les collines qui enserrent Sedan et forment autour de la place comme un vaste cercle en entonnoir où la citadelle semble enfoncée, nos troupes, épuisées, harassées, avec l’amertume au cœur, sans confiance dans leurs chefs, sans espoir maintenant, sans autre foyer d’héroïsme dans l’âme que la rage sourde du soldat battu, — nos troupes sont désorganisées, railleuses ; elles jettent dans les rangs de tristes lazzis, des mots à double entente contre les généraux. Ces soldats rangés en bataille et naguère habitués à combattre au pas de charge, baïonnette baissée et fanfare au vent, ces soldats n’attaquaient plus : depuis trois jours, ils se défendaient, ils se défendront encore.

Le corps du prince de Saxe occupe le centre de l’armée ennemie. À sa droite, de Brévilly à Pouru, les Bavarois, qui viennent d’incendier Bazeilles, attendent et se massent, renforcés de la garde royale prussienne. Ce sont les Bavarois qui doivent attaquer. Le matin venu, ils engagent un feu vif de tirailleurs sur La Moncelle, puis d’un élan à la baïonnette ils se jettent, cette fois la poitrine découverte, dans les rues du village. Nos soldats les repoussent ; les Bavarois reculent, se réforment et reviennent. Cette position de La Moncelle, qu’il faut occuper à tout prix, est pour les Prussiens la clé même de la bataille. Les Bavarois ont le poste d’honneur et le poste de danger. Maison par maison, il faut attaquer La Moncelle, enlever les barricades des rues pavé par pavé. C’est une lutte exaspérée et furieuse où les morts bavarois s’entassent et s’écrasent dans la grande rue montante. On les voyait fauchés par grappes, les cadavres faisant appui aux cadavres, et ces morts demeuraient ainsi sans tomber. — La garde royale à la même heure attaquait Douzy, Rubecourt, petits villages adossés aux bois de l’Ardenne, blancs, coquets, enchâssés comme en des écrins verts, et où pas-