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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/611

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II.

Ceux qui ont quelque temps habité la campagne ont pu observer quelle somme de travail et d’activité patiente absorbe la terre :

Remues votre champ dès qu’on aura fait l’oût ;
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Ainsi parlait le laboureur de La Fontaine, et les docteurs de l’agriculture moderne appuient encore plus énergiquement sur ces préceptes. Saturez la terre, disent-ils, de travail autant que d’engrais. En aucun temps (et c’est un des réels progrès de notre siècle), plus d’instrumens divers n’ont été inventés pour tourmenter le sol, pour récolter et manipuler ses produits. On sait que la terre est ingrate envers qui ne la force point. Aussi s’explique-t-on que le gros souci des chefs de culture, ce soit la dépopulation des campagnes qui, dans ces dernières années, a toujours été en augmentant. Propriétaires et fermiers se plaignent donc amèrement du manque de bras. Cependant les ouvriers ruraux, chassés, affirment-ils, par l’insuffisance des salaires et par la crainte de la misère qui les attend dans les vieux jours, émigrent vers les villes en grandes masses. Souvent nous avons rencontré et interrogé de ces fugitifs ; il est rare qu’ils partent sans esprit de retour. Leur idée fixe est de faire fortune, c’est-à-dire d’amasser en un certain nombre d’années la somme suffisante pour acheter un lopin de terre qu’ils reviendront cultiver au pays natal. Souvent la réalité trompe leur espoir ; mais ils ont l’amour du clocher, et s’ils étaient assurés d’y gagner leur vie, ils resteraient volontiers attachés au village aussi solidement que le lierre s’attache aux vieux murs. Faire en agriculture ce qui a été fait dans l’industrie, accomplir un progrès assez considérable pour que le chef d’exploitation augmente à la fois son propre bénéfice et le salaire de ses agens, c’est presque l’unique remède que la réflexion suggère ; autrement il arrivera toujours que la concurrence des villes, en offrant au travail des conditions plus avantageuses, continuera d’enlever aux campagnes une bonne partie des ouvriers ruraux. Sans doute une élévation même légère des salaires serait maintenant dans la plupart des fermes une condition impossible à remplir ; mais il faudra du moins se résoudre aux plus grands efforts pour ne pas abaisser la rétribution déjà minime des journées de travail. Agir autrement, ce serait commettre une désastreuse imprudence, Le premier but à se proposer, c’est donc de procurer quelque