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méprises. On rattache à la même souche et l’on regarde comme sœurs les populations parlant un même langage ; on déclare anéantie celle dont la langue s’est effacée. Des recherches souvent difficiles sont alors nécessaires pour retrouver les origines vraies, pour reconnaître la réunion sur un terrain parfois très circonscrit d’élémens ethnologiques fort différens. C’est ainsi que l’adoption générale de l’espagnol par les descendans des Guanches avait fait croire à l’extinction de cette race, lorsque M. Sabin Berthelot vint en révéler l’existence, montrer que la majeure partie des Canariens lui appartiennent, et qu’il existe encore plusieurs familles dont les ancêtres directs luttèrent contre Béthencourt et ses compagnons.

Quelque chose d’entièrement semblable, mais accompli sur une échelle beaucoup plus vaste, s’est évidemment passé dans les contrées qui nous occupent. Le Slave conquérant a imposé sa langue au Finnois, J’ai déjà cité les Lettons, entièrement Finnois par leurs traits physiques, et qui n’en parlent pas moins une langue slave tellement caractérisée qu’elle a donné son nom à tout un groupe de dialectes voisins, — les Lithuaniens où l’on distingue les deux types physiques, tandis que la langue est essentiellement aryenne et celle même qui se rapproche le plus du sanscrit. La Prusse proprement dite présentait à une époque relativement récente un fait absolument pareil. Un ancien voyageur allemand, racontant ce qu’il a vu, dit que la population de cette contrée est composée de géans et de nains[1]. Le contraste des races est ici nettement accusé par l’exagération même de l’auteur. Le borussien ou vieux-prussien n’en était pas moins une langue slave intermédiaire entre le lette et le lithuanien. Dans ces deux dialectes du reste, Thunmann et Malte-Brun ont trouvé des racines finnoises. Le premier a signalé en outre une population franchement finnoise qui vivait encore dans la Prusse orientale vers le milieu du xiiie siècle. Enfin l’Esthonie, la Livonie et la Courlande possèdent encore des populations qui, en dépit des siècles et d’une double conquête, ont conservé leurs idiomes primitifs. Il est vrai que les limites de ceux-ci se resserrent chaque jour davantage, et qu’ils disparaîtront sans doute prochainement, En 1862, il ne restait plus en Courlande que deux mille personnes environ employant l’un ou l’autre des deux dialectes anciennement usités. En Livonie, douze individus seulement parlaient encore la langue de leurs pères[2]. Évidemment dans quelques années d’ici quiconque se laissera guider par la linguistique seule croira pouvoir affirmer que les Lives ont entièrement disparu.

  1. Herberstein, cité par Prichard, t. III.
  2. Latham, Elemens of comparative philology.