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L’avènement de la maison régnante de Prusse dut activer encore la transformation dont nous recherchons les causes. En 1411, Frédéric, comte de Hohenzollern et burgrave de Murberg, obtint de l’empereur Sigismond de Hongrie, au prix de 400,000 florins d’or, la marche de Brandebourg et la dignité d’électeur. Un de ses descendans, Albert, grand-maître des chevaliers teutoniques, embrassa la réforme de Luther, et sécularisa l’ordre militaire qui l’avait choisi pour chef. En revanche, il fut reconnu duc héréditaire de la Prusse orientale sous la souveraineté de la Pologne. En 1618, par le mariage de sa fille avec Jean-Sigismond, ce fief revint à la branche régnante de Brandebourg. Ainsi disparut, après avoir duré près de trois siècles, l’empire fondé par les chevaliers teutoniques, et ainsi prit naissance celui qui pèse aujourd’hui sur nos destinées[1]. On voit combien Cantu a pu dire avec raison que l’histoire de la Prusse à ses débuts est la suite ou plutôt un épisode de l’histoire des croisades. Ajoutons qu’en passant définitivement aux mains d’un prince allemand, en conservant à titre de nobles la plupart des anciens chevaliers de même origine, ce pays devait se germaniser de plus en plus dans les hautes classes, tandis que le fond de la population restait le même.

Certainement les croisades ont eu pour causes premières des croyances étrangement interprétées et le désir de propager la foi chrétienne ; toutefois elles satisfaisaient et surexcitaient également les passions purement terrestres, l’ambition et l’amour du lucre. D’autres événemens religieux et des mobiles plus purs amenèrent en Prusse, en Brandebourg surtout, des élémens ethnologiques bien étrangers à ceux que nous avons signalés.

Dès 1614, le margrave Jean-George embrassa ouvertement les doctrines de Calvin. Ses successeurs restèrent attachés à cette branche du protestantisme. Ce fut la seule grande cour calviniste de l’Allemagne. Lorsque, oubliant ses promesses et ses opinions premières, Louis XIV commença la persécution des réformés français, un certain nombre émigrèrent de l’autre côté du Rhin. Assez mal accueillis par les princes luthériens, ils s’adressèrent à ceux qui partageaient leurs croyances. Les souverains du Brandebourg comprirent la portée de ce mouvement, et firent tous leurs efforts pour le favoriser. Frédéric-Guillaume en particulier mit tout en œuvre pour amener dans ses états une population honnête, laborieuse, qui apportait avec elle des élémens de prospérité inconnus dans le nord, et qui devait combler les vides laissés par la guerre de trente ans. — À peine Louis XIV avait-il révoqué l’édit de

  1. La paix de Cracovie, qui consacra cette transformation, fut signée en 1525.