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mands, qu’il a résumés et complétés. Il sera facile de s’assurer que presque toutes les sources de la fortune publique furent renouvelées et considérablement accrues par l’introduction de cet élément venu d’un pays de beaucoup plus avancé, depuis la culture des jardins fleuristes et maraîchers jusqu’à celle des champs, depuis la fabrication des étoffes communes jusqu’au tissage des tentures de soie et de brocart. Grâce aux dispositions libérales de l’édit de Potsdam, aucun réfugié ne descendit dans les classes les plus inférieures de la population. Les plus humbles furent des colons libres, bientôt des cultivateurs aisés, ou prirent place dans la petite bourgeoisie et ne tardèrent pas à s’élever par l’intelligence et le travail. Un très grand nombre s’établit d’emblée au premier rang dans le haut commerce, dans la grande industrie, qui reçurent d’eux une impulsion toute nouvelle. En même temps, la cour, la diplomatie, l’armée, la magistrature, s’ouvrirent à une foule de familles françaises. D’autres s’illustrèrent dans la science, la littérature, les arts. La plupart existent encore. On comprend que je ne saurais en citer ici les noms[1]. Il en est, comme ceux des Ancillon, des Savigny, qui sont universellement connus. Je dois seulement faire remarquer que, par suite des alliances contractées avec les familles locales, la France peut revendiquer sa part dans l’origine ethnologique de bien des illustrations portant une appellation tout allemande. Il suffit de nommer les deux Humboldt, Prussiens par leur père, Français par leur mère.

La France tout entière était représentée dans l’émigration protestante du Brandebourg, mais les provinces du centre et du midi fournirent la plus large part. Metz et son territoire envoyèrent cependant trois mille réfugiés environ, qui presque tous se fixèrent à Berlin. Pour être partis de la province que réclame aujourd’hui l’Allemagne, ces derniers n’étaient rien moins que des Germains. Les noms qui nous ont été conservés attestent tous une origine française. L’Anjou, le Poitou, l’Ile-de-France, le Béarn, le comté d’Orange, donnèrent un contingent considérable. Il semble toutefois que le haut et le Bas-Languedoc étaient représentés d’une manière spéciale dans cet exode. Ce furent les industriels de Nîmes, de Montpellier, de Béziers et des environs, qui apportèrent avec eux l’art de fabriquer diverses étoffes de laine, et Pierre Labry, originaire du Vigan, introduisit en Prusse le tissage des bas, encore populaire dans nos Cévennes. Le plus pur sang français pénétra ainsi partout dans la province de Brandebourg, au cœur même du

  1. Un grand nombre de ces familles ont déguisé et germanisé leurs noms soit en changeant l’orthographe, soit en traduisant ceux qui étaient significatifs, tels que Lacroix, Sauvage, etc. (Voyez Ch. Weiss.)