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nons d’acier ; votre comité d’artillerie a haussé les épaules, et vos caricaturistes se sont mis à rire. Vous ne nous connaissez pas, vous ne nous étudiez pas, et, pour généraliser le reproche, vous n’étudiez presque rien ni personne. Cependant les autres peuples marchent. Vous avez cru qu’une armée prétorienne vaincrait les étudians d’Iéna et d’Heidelberg, et l’empereur, qui tenait à engager cette lutte, a pu vous le faire croire ! Vos soldats ont été courageux, ils ont été héroïques, et nous avons jusqu’à présent perdu, il faut l’avouer, trois fois plus de monde que dans la campagne de Bohême. Certes l’armée française est une autre armée que l’armée autrichienne, et le prince Frédéric-Charles, dans son livre, la proclame la première armée du monde ; mais dans cette guerre elle n’a jamais eu ni approvisionnemens, ni munitions, ni canons, ni chefs. La victoire cependant se compose de toutes ces choses. — Puis ils entraient dans les détails techniques de la bataille. L’artillerie prussienne mise en batterie sur les hauteurs de Givonne avait démonté des pièces françaises à la distance de 5 kilomètres. — Vous aviez pourtant un empereur qui se piquait de connaître l’artillerie ; mais les flatteurs lui soutenaient que le canon rayé est le chef-d’œuvre du genre. — Leurs propos ne devenaient guère railleurs que lorsqu’il s’agissait du vaincu de Sedan. Ils épargnaient l’armée, non le chef. — Nous n’avons craint un moment, disait le prince Albrecht, que le maréchal Lebœuf. La façon dont il avait mis en batterie ses quatre-vingts pièces à Solferino nous faisait croire à son mérite. Nous l’estimions fort comme général ; il nous a bien détrompés. — Leur préoccupation d’alors était celle-ci : que fera Paris ? — Si l’empereur était encore possible en France, ou l’empire, nous serions satisfaits, car nous obtiendrions toutes les compensations de ce côté ; mais le nouveau gouvernement ne cédera rien, et il nous faudra continuer la lutte.

Je cite toutes ces paroles, que je n’ai pas oubliées et dont on voit l’importance. Ainsi le 2 septembre, deux jours avant la chute de l’empire, avant même que Paris, confiant dans les dépêches rassurantes communiquées par le général de Palikao, eût connaissance du désastre de Sedan, l’état-major du prince Albrecht et le prince et le roi sans doute avaient l’intime conviction qu’ils allaient se trouver devant un gouvernement provisoire, et que l’empire ou la régence était impossible. Rien ne démontre mieux combien l’ennemi avait scruté non-seulement tous les points de la France, mais notre caractère même, nos aspirations et nos mœurs. — Au surplus, continuaient-ils, la France choisira le gouvernement qui lui semblera le meilleur. Ce sont là ses affaires privées, où nous ne prétendons pas nous immiscer. L’important pour nous est d’obtenir les compensations désirées et de forcer votre pays à ne pouvoir nous attaquer