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LA REINE


LOUISE DE PRUSSE




La mémoire de la reine Louise, mère du roi Guillaume, est universellement vénérée en Prusse ; ce n’est pas assez dire : son nom et son souvenir sont presque devenus une légende poétique et pieuse. Morte à trente-trois ans, en 1810, au milieu des jours sombres de l’histoire de son pays, précipitée du trône qu’elle avait un instant illuminé des rayons de la beauté, de l’intelligence et de la bonté, elle sut porter héroïquement des malheurs dont elle était en partie responsable, donner dans la défaite et dans l’exil l’admirable spectacle de la vertu souriante aux prises avec le malheur ; elle apparaît de loin à sa nation comme l’ange du patriotisme. C’est aussi qu’avant de prêcher l’espérance aux vaincus la reine Louise avait eu le courage de dire en face la vérité au plus puissant des triomphateurs. Après soixante ans, les destins sont retournés. La France avait alors deux fois terrassé la Prusse, et nos chevaux campaient sur les bords sablonneux de la Sprée. Sous un second Napoléon, la France est descendue au fond des abîmes, et l’armée prussienne, commandée par le fils de la reine Louise, campe aux portes de Paris. Il me semble voir la grande ombre de cette femme héroïque se dresser maintenant entre le vainqueur et nous. Sa mère le juge et nous relève. C’est au conquérant, au roi Guillaume, qu’elle reproche l’abus de la force, et ses nobles conseils de courage, d’énergie, de confiance, s’adressent à la France.


I.

Les heures de joie ont été bien courtes dans la vie de la reine Louise de Prusse. Son enfance avait été assombrie par la mort pré-