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LES MÉSAVENTURES


D’UN PEUPLE HEUREUX




Heureuse Angleterre ! s’écriait en guise d’épilogue l’auteur d’un écrit fort remarqué sur la guerre actuelle que publiait l’Edinburgh Review au mois d’octobre 1870. Heureuse Angleterre ! répétaient en chœur, il y a peu de mois, presque tous les organes de l’opinion publique au-delà de la Manche. Heureuse Angleterre, qui ne subit pas, comme la France, la honte et les douleurs d’une invasion, et qui n’a pas même, comme la Prusse, à pourvoir aux pesantes nécessités d’une lutte victorieuse ! Et si les hommes d’état de la Grande-Bretagne attribuaient ce grand bonheur à ce que leur pays, dans sa sagesse, n’avait ni territoire à revendiquer ni principe à faire prévaloir en Europe, on rencontrait parfois un partisan de doctrines récentes prêt à dire : — Heureuse Angleterre, qui ne fait plus la guerre ni pour des faits ni pour des principes !

Mais depuis quatre mois cette politique égoïste a été, de l’aveu des Anglais eux-mêmes, la source d’amères déceptions ; il y a plus, elle commence à mettre la Grande-Bretagne en péril. Lord Palmerston, s’il était encore de ce monde, hésiterait à répéter sa maxime favorite, que les plus graves intérêts de l’Angleterre sont au Canada, dans l’Inde, en Australie, en Chine, et non plus en Europe. Ces quatre mois en effet ont été fertiles en incidens où l’honneur et la prospérité de nos amis d’outre-Manche ont reçu de rudes atteintes. Plus d’une fois les paraphrases ingénieuses du langage diplomatique ont réussi tout juste à voiler des affronts directs. Cependant l’Anglais est fier, jaloux de son honneur et encore plus de ses droits. Comment ne s’arrache-t-il pas en ce moment, par une réaction violente, à une situation qui blesse son orgueil et compromet son intérêt ? C’est que, nous essaierons de le montrer, la politique d’abstention qu’il a pratiquée pendant quinze ans n’est pas