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Paris eut la bonne inspiration de lever la réquisition, et cette mesure réparatrice produisit aussitôt son effet : les pommes de terre reparurent, seulement il n’en existait plus qu’une petite quantité, et on les payait jusqu’à 30 francs le boisseau.

Quatre jours plus tard, par une contradiction que nous ne nous chargeons pas d’expliquer, les sucres étaient soumis au maximum ; à partir du 21 janvier, le sucre raffiné était taxé à 1 fr. 95 cent, le kilog. en gros, et à 2 francs au détail. « Les marchands de gros qui refuseront de vendre à la taxe, ajoutait l’arrêté du maire de Paris, pourront être réquisitionnés en tout ou en partie, et le kilogramme de sucre réquisitionné sera payé à raison de 1 fr. 80 cent, au lieu de 1 fr. 95 cent. » Cette mesure révolutionnaire était prise pour arrêter la hausse croissante du sucre, et pour empêcher les raffineurs et les marchands en gros ou en détail de réaliser des bénéfices scandaleux. Nous pourrions faire remarquer à ce propos que le manque de combustible et d’ouvriers rendait le raffinage singulièrement coûteux et difficile, et que l’écart de 5 cent. entre le prix du gros et du détail, qui avait paru suffisant aux auteurs de la mesure, ne représentait pas même les frais généraux du commerce de détail. Quoi qu’il en soit, en vertu du maximum, les consommateurs eurent le droit d’acheter leur sucre à raison de 2 francs le kilog., et les épiciers furent obligés de leur reconnaître ce droit imprescriptible ; malheureusement il se trouva que la plupart d’entre eux n’avaient plus de sucre ! C’était une vraie fatalité. Les consommateurs murmurèrent ; aux Ternes, la foule fit des perquisitions dans un magasin d’épicerie, et y découvrit un certain nombre de pains de sucre que les gardes nationaux présens débitèrent séance tenante au prix du maximum, en donnant ainsi aux accapareurs une grande et salutaire leçon ; mais, si l’on pouvait mettre la main sur le sucre caché, était-il possible de contraindre l’accapareur à renouveler sa provision, et le raffineur à continuer son industrie ? La puissance du maximum venait se briser devant ces obstacles tout à fait imprévus, et c’est ainsi que la disette du sucre commença précisément à se faire sentir au moment même où, grâce à la sollicitude de l’administration, la hausse du sucre se trouvait arrêtée avec « les manœuvres de la spéculation. »

Nous ne voulons point dire qu’un certain nombre de marchands de comestibles, d’épiciers, de restaurateurs, etc., n’aient point abusé des avantages de leur situation dans ces circonstances critiques, et que ceux qui avaient eu la prévoyance d’accumuler des provisions en vue du siège s’aient point réalisé des bénéfices exceptionnels ; mais cette prévoyance salutaire et plus tard cette activité ingénieuse qui a été déployée pour transformer en alimens présentables les matériaux les plus réfractaires, les os, les fécules, les graisses employées à la parfumerie, n’ont-elles pas contribué à augmenter dans des proportions sensibles nos ressources alimentaires ? Ce service ne méritait-il point d’être récompensé ? D’un