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pressé de voir dans toute contradiction une hostilité, dans toute dissidence une conspiration, c’est-à-dire en définitive qu’on a eu au nom de la république les mêmes préjugés et les mêmes procédés exclusifs qu’on avait sous l’empire dans un intérêt dynastique. M. Gambetta, au début de sa carrière, avait montré un peu plus de souci de la liberté ; depuis qu’il est au pouvoir, il semble croire que tout est permis, pourvu que la république soit sauvée, lorsque la république au contraire ne peut se fonder et se populariser que par le respect de la liberté, si on laisse la souveraineté nationale se manifester dans toute sa sincérité et dans toute son indépendance. Il n’a pas fait la république de tout le monde, il a fait ou laissé faire autour de lui une république de parti. Ce qu’il y a dans cette politique, c’est toujours la même chose, c’est une incurable méfiance envers le pays.

En réalité, c’est de cette inspiration de méfiance qu’est né ce décret qui a failli devenir un signal de guerre civile, qui avait la prétention d’exclure de l’éligibilité à l’assemblée nationale tout ce monde disparu de sénateurs, de conseillers d’état ou d’anciens candidats officiels de l’empire. Ce n’est point assurément que nous défendions ces candidats et les moyens qui les faisaient fleurir dans la vie publique : ils sont condamnés par leurs œuvres bien plus que par tous les décrets possibles ; mais en vérité n’était-ce pas témoigner le doute le plus injurieux au pays ? Eh quoi ! cinq mois à peine après Sedan, en présence de tous les désastres qui sont la suite fatale de l’empire, on en est à croire que la France pourrait choisir pour la représenter ceux qui l’ont conduite là où elle est, qu’elle serait capable de rêver une restauration bonapartiste ! On sentait le besoin de l’éclairer sur ce qu’elle avait à faire, et même de prendre des précautions contre son imprévoyance ! C’était se faire du pays une étrange idée, on en conviendra. Les élections viennent bien de prouver le peu de chances de tous ces candidats dès qu’ils n’avaient plus pour eux les influences officielles. C’est à peine si quelques-uns ont échappé au naufrage. Et sait-on ce que nous ont valu ces tentatives d’exclusion ? Elles nous ont exposés à ce dernier déboire d’une protestation de M. de Bismarck nous rappelant à l’ordre, c’est-à-dire au respect de la liberté électorale, dont l’armistice, à ce qu’il paraît, fait une condition. Oui, M. de Bismarck, qui intercepte nos lettres et nos journaux, qui laisse à peine une fissure entre Paris et les provinces, M. de Bismarck veut que nous soyons libres dans les élections ! L’ironie est certainement amère, et ce qu’il y a de plus cruel, c’est qu’on lui a donné un prétexte. Voilà ce qu’on nous a valu ; c’est la dernière goutte de fiel sur nos blessures. Après cela, il ne nous reste plus rien à dévorer, il n’y aurait tout au plus que cette restauration bonapartiste qu’on nous présente comme un fantôme menaçant. Non, cette restauration ne peut avoir rien de menaçant. Il faudrait que la France eût achevé de perdre le sens moral pour l’accepter. Les étrangers eux-mêmes n’y croient pas ; mais, si elle était ja-