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subir une partie très importante de nos ressources industrielles et commerciales, — celles que procurent à notre pays tant de produits dont l’élément principal est la pratique du dessin. Or, si nos sculpteurs ornemanistes et nos orfèvres, nos peintres céramistes et nos verriers, si tous ceux qui par profession manient les procédés de l’art n’en ont reçu que des notions superficielles ou équivoques, il est certain que leurs œuvres se ressentiront toujours de cet apprentissage incomplet. Au lieu d’étendre l’influence du goût français et d’en consolider la bonne renommée, elles ne serviront plus qu’à entretenir chez nous certaines habitudes banales. Il y aura ou plutôt il y a là dès à présent la menace d’une sorte d’anémie intellectuelle qui d’ailleurs avait éveillé déjà des inquiétudes et provoqué des tentatives de guérison dont il n’y a que justice à tenir compte. Les efforts poursuivis par les fondateurs d’une société de l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, par ce Congrès pour l’avancement des arts utiles dont la Revue résumait, il y a un an, les vœux et les travaux[1], — les écrits et les discours publics d’un artiste qui fait autorité par l’élévation de sa doctrine autant que par son talent, M. Guillaume, — les développemens donnés à l’étude du dessin dans les écoles primaires de la ville de Paris, — d’autres essais, d’autres entreprises encore, prouvent que depuis quelque temps l’attention était généralement attirée sur ce point, à peu près négligé jusqu’alors. Sans doute ce n’était pas la première fois qu’on s’occupait en France d’organiser l’enseignement du dessin ; mais pour la première fois peut-être on songeait à en fixer méthodiquement les principes, et, dût le mot paraître un peu ambitieux, à en déterminer les conditions philosophiques. Si les événemens n’ont permis d’agir que très incomplètement en ce sens, on n’en a pas moins entrepris de secouer le joug de la routine ; si toutes les réformes nécessaires sont encore loin d’être réalisées, quelques-unes paraissent en voie de s’accomplir. C’est là un commencement de progrès qu’il convient d’autant mieux d’encourager que ce qui se passe à l’étranger ne nous permet ni un temps d’arrêt qui serait plus funeste, ni une confiance prématurée dans le succès.

Il faut bien le reconnaître en effet, le mouvement qui tend à s’opérer en France n’a ni le mérite de la spontanéité, ni l’autorité imprévue d’un exemple : l’exemple au contraire nous a été donné par ceux-là mêmes qui naguère recevaient de nous des leçons. Tandis que tout se bornait ici à la pratique des procédés accoutumés, tandis que nous suivions au jour le jour les usages ou les traditions

  1. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1869, l’Art contemporain, par M. Charles d’Henriet.