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tait une preuve de discernement. On peut rendre à M. Gambetta cette justice qu’il eut la main heureuse dans le choix des généraux en chef. Est-ce hasard, est-ce sagacité ? Peu importe ; mais d’Aurelle de Paladines, Chanzy, Faidherbe, tous trois inconnus la veille, ont montré des qualités précieuses.

Faidherbe avait donc pris le commandement de l’armée du nord en remplacement du général Farre, qu’il avait gardé comme chef d’état-major. Quinze jours à peine s’étaient passés depuis l’échec d’Amiens ; les Prussiens avaient eu le loisir de faire quelques excursions à Doullens et même sur Albert sans être inquiétés que par des francs-tireurs, quand tout à coup, à l’improviste, l’armée du nord sort de ses cantonnemens et se jette sur les communications de l’ennemi. Elle se précipite sur Saint-Quentin, qu’elle réoccupe. Le 10 décembre, elle prend Ham après un combat où 200 Prussiens sont faits prisonniers, dont 12 officiers, presque tous du génie. Le 11, elle enlève un convoi entre Chauny et La Fère ; elle coupe la voie ferrée entre La Fère et Laon. Manteuffel, avec le gros de ses troupes, se reporta de Rouen sur Amiens. Le 23 se livra la bataille de Pont-Noyelles, à quelque distance d’Amiens. Faidherbe avait avantageusement placé ses troupes sur une suite de collines dominant le cours de l’Hallu, petit affluent de la Somme. Les forces françaises étaient d’environ 35,000 hommes, les allemandes étaient un peu inférieures ; mais la plus grande puissance de leur artillerie contre-balançait de beaucoup cette légère inégalité numérique. Aujourd’hui l’on devrait estimer la force des armées par le nombre des canons et non point par le nombre d’hommes, de même que l’on évalue l’importance d’une filature par la quantité de broches et non par la quantité d’ouvriers. La bataille fut acharnée ; un officier anglais au service de la Prusse, témoin de Spickefen et de Gravelotte, la représente comme une des plus meurtrières de la campagne. Les Allemands se vantèrent d’avoir pris vers la fin du jour les villages de la vallée ; Faidherbe revendiqua la victoire pour avoir couché sur les hauteurs qu’il occupait le matin et ne les avoir quittées que le lendemain dans l’après-midi, de son propre mouvement, sans être attaqué par l’ennemi. Pourquoi cette retraite ? Bien des choses nous la conseillaient : ce froid de 10 degrés que supportaient difficilement nos jeunes troupes à peine vêtues, la mauvaise organisation de l’intendance, l’on n’avait pu procurer à nos soldats sur le champ de bataille que du pain gelé qu’ils ne purent manger ; enfin l’ennemi avait réclamé des renforts qui ne tardèrent pas à lui arriver. Faidherbe se retira donc sur Arras, et les Prussiens le prétendirent en déroute. Il employa son temps à réorganiser son intendance. Ce ne fut qu’un délai de huit jours. Le 1er janvier, il quittait les lignes de la Scarpe ; le 2 et le 3, il atta-