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des races, non plus intelligentes, mais plus fortes, la race celtique n’a survécu, avec sa langue et le sentiment de sa nationalité, que sur quelques points du vaste domaine où elle régnait autrefois. Du continent européen, elle n’a plus que la péninsule armoricaine ; outre-Manche, elle s’est maintenue en Galles, dans les hautes terres et dans l’ouest de l’Ecosse, dans l’île de Man, dans le sud et l’ouest de l’Irlande. La séparation séculaire des différens rameaux de la race celtique a eu pour effet d’augmenter et d’accentuer la divergence des dialectes de la langue qu’elle parlait, et c’est au point que ces dialectes forment aujourd’hui deux branches presque distinctes, d’une part l’irlandais, le gaélique d’Ecosse et le gaélique de Man, — d’autre part le breton armoricain et le gallois. Malgré la distance et la diversité des destins qui ont rattaché les uns à la France, les autres à l’Angleterre, les Bretons d’Armorique et les Bretons de Galles n’ont pas perdu le souvenir de leur commune origine, et pendant nos guerres avec l’Angleterre on a vu dans plus d’une bataille Gallois et Bretons se reconnaître à leur langage et se refuser à une lutte fratricide.

Des écrivains qu’un enthousiasme trop prompt, un patriotisme trop rétrospectif, ont poussés à voir dans l’obscure religion des Gaulois une véritable doctrine philosophique, et qui ont voulu opposer une révélation de la Gaule à la révélation de la Judée, ont cru trouver la confirmation de cette thèse séduisante dans la littérature et dans les traditions du pays de Galles. Depuis quelque trente ans, on a fait grand bruit parmi nous des poésies des « bardes » gallois, des documens secrets où une sorte de franc-maçonnerie occulte aurait transmis jusqu’à nos purs la sagesse des anciens druides. Tout cela, il faut le dire, ressemble fort à des chimères. Ces poésies existent ; mais les unes sont d’invention moderne, et les autres, celles dont l’authenticité peut être présumée, n’ont ni l’antiquité qu’on leur attribue, ni le sens mystique qu’on leur prête. Quant aux prétendus documens sur la transmigration des âmes et autres choses « druidiques, » ce sont les élucubrations modernes de quelques rêveurs gallois qu’excitait, comme une atmosphère pleine de haschisch, un milieu de religion mystique et fiévreuse. Il est vraiment malheureux pour la littérature galloise d’avoir servi de théâtre et, pour ainsi parler, de lieu d’exhibition à d’aussi vaines théories. De cette manière, l’attention s’est détournée de ce qui est vraiment remarquable et original dans l’histoire de la littérature galloise, je veux dire cet ensemble de traditions, de poèmes, de chroniques, qui a donné au moyen âge le cycle de la Table-Ronde. Arthur, Merlin, Tristan, Iseult, tous ces personnages légendaires qui ont si fort occupé l’imagination de l’Europe il y a des siècles, auxquels même aujourd’hui notre sympathie s’attache quand un Quinet et un Tennyson évoquent leur souvenir, ce sont des trouvères gallois qui ont répandu par le monde leur touchante et romanesque his-