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les mêmes causes, des témoignages qui se contredisent, des faits qui, dans l’esprit du lecteur, disent en même temps oui et non : où est la vérité dans ces aventures romanesques, souvent invraisemblables à force d’être inexplicables ? Où est l’impartialité possible quand c’est quelquefois le méchant qui semble avoir raison du doux et du faible ? Où est la certitude pour le magistrat ? A-t-elle pu exister pour lui, quand la postérité impartiale ne démêle pas, au milieu de ces détails minutieux, le mensonge de la vérité ?

Les enquêtes réciproques sont suscitées par la passion ; elles dévoilent ou inventent tant de turpitudes chez les deux parties qu’on arrive à ne rien croire ou à ne s’intéresser à personne. Cette lecture ne me porte pas à rechercher le réalisme dans l’art, non pas tant à cause du manque d’intérêt du réel qu’à cause de l’invraisemblance. Il est étrange que les choses arrivées soient généralement énigmatiques. Les actions sont presque toujours en raison inverse des caractères. Toute la logique humaine est annulée quand, au lieu de s’élever au-dessus des intérêts matériels, l’homme fait de ces intérêts le mobile absolu de sa conduite. Il tombe alors sous la loi du hasard, car il appartient à des éventualités qui ne lui appartiennent pas, et si sa destinée est folle et bizarre, il semble devenir bizarre et fou lui-même.

Les nouvelles d’hier, c’est la démarche de Jules Favre auprès de M. de Bismarck. De quelque façon qu’on juge cette démarche au point de vue pratique, elle est noble et humaine, elle a un caractère de sincérité touchante. Nous en sommes émus, et nos cœurs repoussent avec le sien la paix honteuse qui nous est offerte.

Ce n’est pas l’avis de tout le monde. On voudrait généralement dans nos provinces du centre la paix à tout prix. Il n’y a pas à s’arrêter aux discussions quand on n’a affaire qu’à l’égoïsme de la peur ; mais tous ne sont pas égoïstes et peureux, tant s’en faut. Il y a grand nombre d’honnêtes gens qui s’effraient de la tâche assumée par le gouvernement de la défense nationale et de l’effroyable responsabilité qu’il accepte en ajournant les élections. Il s’agit, disent-ils, de faire des miracles ou d’être voués au mépris et à l’exécration de la France. S’ils ne font que le possible, nous pouvons succomber, et on les traitera d’insensés, d’incapables, d’ambitieux, de fanfarons. Ils auront aggravé nos maux, et, quand même ils se feraient tuer sur la brèche, ils seront maudits à jamais. Voilà ce que pensent, non sans quelque raison, des personnes amies de l’institution républicaine et sympathiques aux hommes qui risquent tout pour la faire triompher. L’émotion, l’enthousiasme, la foi, leur répondent : — Oui, ces hommes seront maudits de la foule, s’ils succombent ; mais ils triompheront. Nous les aiderons, nous voulons, nous pouvons avec eux ! S’il faut des miracles, il y en aura. Ne