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ne parlait avec plus de pureté, de grâce et d’élégance. Elle avait dû à l’habitude de la langue italienne le talent de donner à la langue française un rhythme, une cadence véritablement neuve. Elle relevait alors l’harmonie de sa voix par des gestes pleins de noblesse et de vérité, par l’expression de ses yeux, qui s’animaient avec le discours, et j’éprouvais chaque jour un charme nouveau à l’entendre, moins par ce qu’elle disait que par la magie de son débit. » Ainsi longtemps après, M. le comte Beugnot, revenant sur ces jours sinistres, est encore tout ravi, ému de ce souvenir. C’était un adversaire de Mme  Roland, et il était tombé sous le charme. La nature joue de ces tours à la politique et aux politiques.

Que l’on juge d’après cela de l’empire que devait exercer cette belle personne, cette âme éloquente, cette inspirée de la révolution, quand elle n’en pressentait pas encore les folies et les fureurs, et que, toute remplie de l’esprit nouveau, elle le répandait autour d’elle, avec la flamme de son regard et de sa parole, parmi ses amis, Vergniaud, Brissot, Guadet, Louvet, Gensonné, Buzot, dépassant en ardeur les plus enthousiastes, échauffant les indolens et les tièdes, les éblouissant tour à tour et les charmant, les guidant vers cet avenir chimérique qu’elle leur montrait tout près d’eux, à leur portée, par une sorte de magie à laquelle ils ne résistaient pas. Non, la Montagne ne se trompait pas en la frappant. Ni Danton, ni Robespierre, ne pouvaient s’imaginer que la Gironde était abattue tant que vivait celle qui en était l’âme. Eux-mêmes, Danton et Robespierre, ne savaient-ils pas bien quel prestige émanait d’elle ? Ils l’avaient connu, ce prestige, et ils se vengeaient de l’avoir subi en envoyant à l’échafaud cette femme dont le mépris leur faisait peur.

Plus on pénètre dans l’intimité de l’âme et de l’esprit de Mme Roland en relisant ses Lettres et ses Mémoires, plus on se persuade qu’elle représente avec éclat tout un côté du xviiie siècle, ces idées, ces influences dont Mme Du Deffand méconnut toujours la grandeur, à supposer qu’elle en soupçonnât même l’existence. Ce que ces idées ont d’énergique et de noble, les aspirations de ce siècle vers la générosité, vers la justice idéale, vers la rénovation sociale, tout ce qu’il contient même de chimères mêlées à de magnifiques passions, tout cela revit dans l’âme de Mme  Roland. Au-dessus du doute systématique, de l’indifférence où s’arrêtaient Mme  Du Deffand et ses amis, s’élevait un esprit nouveau, grave, sincère, dévoué à la justice et à la fraternité humaine, — passionné pour l’égalité, pour la liberté, mais en même temps rempli d’inexpérience, gâté par l’imitation d’une antiquité chimérique, mal étudiée, mal comprise, — conduit par l’utopie à la déclamation, tenant en horreur les dépravations d’un état social artificiel et faux, et ne trouvant pas