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raissait au balcon pour faire connaître qu’il « avait fait la réaction prisonnière. » Le préfet était effectivement aux mains des agitateurs, les socialistes triomphaient. En vertu de ce principe, universellement reconnu en France, que les individus qui ont escaladé l’hôtel de ville constituent le gouvernement régulier, on s’occupait déjà de convoquer la fameuse « convention des communes fédérées ; » mais le dénoûment était proche. Quelques bataillons de gardes nationales intervinrent, remirent en liberté M. Challemel-Lacour, le maire et les conseillers municipaux ; M. Cluseret fut de nouveau arrêté pour être relâché peu de temps après.

Dans ces mouvemens populaires, les vaincus ont toujours, jusqu’à un certain point, gain de cause. Il est sans exemple en France que des émeutiers, même après un échec, n’obtiennent pas des concessions. Aussi le gouvernement de Lyon s’empressa-t-il de s’inspirer des désirs ou des théories de la salle de la Rotonde. Au grand mépris de la légalité, on institua un impôt sur tous les capitaux mobiliers et immobiliers ; le taux, il est vrai, n’en fut pas excessif, 25 centimes par 100 francs. L’on fit des levées militaires qu’aucun arrêté de l’autorité centrale n’autorisait ; on se mit à faire la chasse aux prêtres et surtout aux jésuites. Sous prétexte que les frères de la doctrine chrétienne avaient cessé d’être membres de l’enseignement communal en vertu d’un arrêté du conseil municipal de Lyon qui fermait leurs écoles, le préfet du Rhône les incorpora dans l’armée au mépris de toutes les lois existantes et des décrets de Paris et de Tours. Peu de temps après, on arrêta le général commandant les troupes de Lyon, et on le retint près de quinze jours en prison.

Marseille a bien des analogies avec Lyon. On avait envoyé dans les Bouches-du-Rhône comme administrateur supérieur M. Esquiros, l’auteur des savantes et libérales études sur la société anglaise. Dès les premiers jours, ce fonctionnaire donna la preuve la plus manifeste qu’il avait oublié tous ses travaux de publiciste. L’on peut condamner la conduite, de M. Challemel-Lacour à Lyon. Il est certain qu’il prit des mesures arbitraires et illégales ; mais au moins il ne pactisa point avec la minorité factieuse, il lui opposa même parfois une courageuse résistance. M. Esquiros au contraire se constitua tout d’abord l’âme du parti le plus exalté de Marseille : il en fut l’idole, et par conséquent l’esclave. Il n’est proconsul romain, ni représentant en mission sous la première république, dont les actes aient été plus vexatoires. Sur ce point, il a la palme parmi tous les préfets du 4 septembre. M. Duportal à Toulouse ne l’égala point, ce qui n’est pas peu dire. Tandis qu’à Lyon il y avait antagonisme entre les habitués des clubs et M. Challemel-Lacour, à Marseille régnait entre M. Esquiros et ses plus bruyans administrés un tou-