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Pendant que M. Gambetta chargeait les instituteurs d’enseigner à la France les vrais principes républicains, les préfets continuaient à démontrer que l’arbitraire et la dictature peuvent se rencontrer sous tous les régimes. M. Duportal, à Toulouse, de sa seule autorité, destituait tous les magistrats qui avaient fait partie des commissions mixtes en 1851. « Considérant, disait-il, que les lois de la morale sont antérieures et supérieures à toute loi écrite, attendu que la conscience publique n’a pas cessé d’être troublée par l’impunité réservée jusqu’à ce jour aux instrumens du crime du 2 décembre, considérant enfin que la présence d’un magistrat indigne constitue, pour le respect dû à la justice, un échec moral autrement grave que toute atteinte portée au principe de l’inviolabilité de la magistrature, » par toutes ces raisons M. Duportal faisait défense au président du tribunal de Toulouse « d’occuper un siège du haut duquel il avait trop longtemps bravé la pudeur publique. » Tous ces beaux considérans n’étaient chez M. Duportal qu’une évidente représaille contre la magistrature qui, sous l’empire, l’avait frappé de plusieurs condamnations pour délits de presse.

À la suite de l’échec définitif du « citoyen général Cluseret » et de l’attentat sur la personne de M. Gent, il y avait eu à Marseille une sorte d’accalmie ; on s’était décidé à y faire des élections municipales. Le scrutin avait victorieusement prouvé la supériorité numérique des hommes d’ordre ou des républicains modérés et l’infime minorité des démagogues qui pendant deux mois avaient été les maîtres reconnus de la ville. La liste, dite de l’égalité, patronnée par M. Esquiros, et qui portait en tête le nom de M. Delpech, n’avait obtenu que 8,000 voix ; la liste conciliatrice en avait eu de 21,000 à 29,000. Aussi la population espérait-elle pouvoir désormais respirer en paix et vaquer paisiblement à ses affaires. Illusion bientôt dissipée ! le conseil municipal élu ne répondit pas plus qu’à Lyon à l’attente publique, et M. Gent apparut bientôt comme le digne émule de son prédécesseur. Il agit avec le même arbitraire, le même dédain des lois et de l’autorité centrale. À cette époque, on avait levé dans toute la France les mobilisés du premier ban, c’est-à-dire les célibataires de vingt et un à quarante ans. D’après les décrets de Tours, ces troupes devaient élire elles-mêmes leurs officiers. Cette mesure fut universellement appliquée. Seul, M. Gent s’avisa de supprimer en fait ce décret de la délégation et de nommer des chefs de son choix. C’était là un procédé peu démocratique que M. Gent s’empressa de racheter par une mesure en sens inverse. Quelques citoyens, invoquant des cas d’exemption plus ou moins fondés, ne répondaient pas à l’appel des mobilisés. M. Gent, au lieu de les faire arrêter par l’autorité militaire ou de les traduire devant