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naissais pas l’ordinaire prudence de l’ennemi. Inférieur en nombre et en artillerie, — il n’avait guère que douze pièces de canon, — comment s’opiniâtrait-il contre une position si bien gardée ? On sait d’ailleurs que pendant ces trois jours le général de Manteuffel était à Fontaine-Française, et que son corps d’armée exécutait des marches forcées par des chemins de traverse dans la direction de Dôle pour couper la ligne de Besançon et cerner Bourbaki. Garibaldi a-t-il donc été joué ? J’incline à croire que ses instructions se bornaient à la défense de Dijon, et il les a remplies. L’état des forces dont il disposait ne lui permettait point une expédition importante en rase campagne ; il eût fallu un second corps d’armée pour arrêter Manteuffel, et le succès de l’ennemi doit être, ce me semble, imputé beaucoup plus au vice de la situation qu’aux erreurs accidentelles de certains hommes. Ajoutons que l’affaire de Dijon, sans être poussée à fond, ne laissa pas que d’être chaude ; dans mon opinion, l’ennemi poursuivait un double résultat : prendre la ville et détourner par cette attaque l’attention des stratégistes français. Des deux avantages qu’il espérait, il en est un qui lui a manqué.

Dijon, fort ému pendant ces trois jours et en grand danger d’être pillé, si l’ennemi eût réussi, acclama Garibaldi comme un sauveur. Je vis, peu de jours après, le général au moment où, descendant le perron de l’hôtel de la préfecture, il gagnait sa voiture pour aller passer la revue de ses troupes. Il marchait péniblement, et tous ses gestes étaient difficiles. Sa figure fatiguée accusait une souffrance intérieure. L’effectif des légions garibaldiennes en garnison à Dijon équivalait à une division d’infanterie française. Notons un point qui a son importance : sur 100 « chemises rouges, » on comptait 75 Français, soit engagés volontaires, soit soldats incorporés par ordre du gouvernement. L’élément italien ne dominait que dans les hauts grades. L’uniforme était la vareuse ou chemise écarlate, le képi de même couleur et le pantalon à volonté, ordinairement gris. Une foule d’estafettes et d’éclaireurs à cheval tenait lieu de cavalerie. La discipline des légions était celle d’une armée régulière ; l’obéissance y présentait ces deux caractères essentiels : la promptitude silencieuse et le respect. L’ascendant prodigieux de Garibaldi communiquait de l’autorité aux moindres chefs, et se faisait sentir à tous les degrés du commandement. En vrai soldat, Garibaldi attachait un haut prix à la bonne renommée de ses troupes, et, pour l’assurer, il ne négligeait aucun détail. En voici une preuve que le hasard m’a fait connaître. Depuis que la ville était rentrée au pouvoir des troupes françaises, nos soldats allaient, venaient, entraient partout sans quitter leur fusil, qui était fort souvent chargé. De là des détonations intempestives et des accidens. Saisi d’une plainte, Garibaldi interdit le port des armes en dehors des exercices, et le soir