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mentionnés dans les livres, c’est exclusivement au point de vue de la médecine qu’on s’en occupe, et le choix n’est pas dicté par l’expérience. Comme autrefois parmi nous, on attribue des propriétés curatives à certains végétaux d’après l’idée seule qu’il doit exister des remèdes efficaces contre toutes les maladies. Le médecin chinois n’a jamais observé la plante dont il ordonne l’usage ; il connaît la racine ou la fleur sèche qu’on livre au consommateur, et au céleste empire c’est faire preuve d’une grande science.

Un voyage à l’Ourato offrait un attrait particulier, car, aucun Européen n’ayant encore pénétré dans ce pays ; on avait la certitude d’ajouter un nouveau chapitre à l’histoire du monde physique. L’Ourato est à peine cité par les géographes, et les lettrés de Pékin ne possèdent qu’une notion absolument vague de cette partie de la Mongolie, située au nord-ouest de la grande capitale et tout à fait au nord de l’Ortous[1]. Ainsi l’abbé David n’aura d’autre guide qu’une carte manuscrite dressée par des lamas, indiquant plusieurs villes entre le Fleuve-Jaune et l’Oula-chan ou les deux montagnes. Parmi ces villes, Sartchi est le point visé par notre missionnaire, pour se livrer ensuite à l’exploration de la contrée.

Le voyage étant décidé, on entretient le savant lazariste d’une insurrection qu’il faut redouter, du brigandage qui s’exerce avec l’audace qu’inspire l’assurance de l’impunité. Attendre le retour de la tranquillité dans un pays où la rébellion se renouvelle sans cesse, où le vol à main armée se pratique d’une manière permanente, serait renoncer à toute entreprise. Heureusement le père Armand David ne se trouve pas disposé à subir l’intimidation : s’il est attaqué, il compte soutenir l’assaut, sachant par expérience que d’ordinaire le sang-froid suffit pour écarter le danger. Dans une excursion à Jéhol, il s’était vu assailli par huit bandits : c’était beaucoup pour un seul homme ; mais cet homme, tenant à n’être pas dépouillé, avait menacé du fusil et du revolver, et les voleurs, ne voulant pas trop exposer leurs personnes, avaient promptement tourné bride. Ils se dédommagèrent dans une auberge voisine par le pillage et l’incendie de la pauvre habitation ; ces braves, respectant la vie des propriétaires, qui les avaient laissés agir en toute liberté, se contentèrent de donner des coups de sabre à des malheureux qui avaient osé apporter de l’eau pour éteindre le feu. Les Européens imposent d’une façon remarquable aux Asiatiques qui les connaissent seulement de réputation, ou qui les rencontrent pour la première fois ; par une sorte d’instinct, ces Orientaux accordent une supériorité incontestable aux hommes de l’Occident. Le père

  1. L’abbé David écrit l’Ortous ou le pays des Ortous ; — sur la plupart des cartes, cette même région est appelée le pays des Ordos.