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donner le temps de sauver la France, et il nous assure qu’elle est sauvée, vu qu’il a formé « des armées jeunes encore, mais auxquelles il n’a manqué jusqu’à présent que la solidité qu’on n’acquiert qu’à la longue. » Il absout Paris, mais il accuse le gouvernement de Paris, dont apparemment il ne relève plus. « On a signé à notre insu, sans nous avertir, sans nous consulter, un armistice dont nous n’avons connu que tardivement la coupable légèreté, qui livre aux troupes prussiennes des départemens occupés par nos soldats, et qui nous impose l’obligation de rester trois semaines au repos pour réunir, dans les tristes circonstances où se trouve le pays, une assemblée nationale. Cependant personne ne vient de Paris, et il faut agir. »

On s’imagine qu’après avoir ainsi tancé la légèreté coupable de son gouvernement, le ministre va lui résister ? Il l’avait annoncé hier, il s’était fixé un délai. Le délai est expiré, et il n’ose ! Il va obéir et s’occuper d’avoir une assemblée vraiment nationale. Pardonnons-lui une heure d’égarement, passons-lui encore cette proclamation illisible, impertinente, énigmatique. Espérons qu’il n’aura pas de candidats officiels, bien qu’il semble nous y préparer. Espérons que, pour la première fois depuis une vingtaine d’années, le suffrage universel sera entièrement libre, et que nous pourrons y voir l’expression de la volonté de la France.

Ce retard du délégué de Paris, qui offense et irrite le délégué de Bordeaux, nous inquiète, nous autres. Paris aurait-il refusé de capituler malgré l’occupation des forts ? Paris croit-il encore que nos armées sont à dix lieues de son enceinte ? On l’a nourri des mensonges du dehors, et c’est là un véritable crime. Nos anxiétés redoublent. Peut-être qu’au lieu de manger on s’égorge. — Le ravitaillement s’opère pourtant, et on annonce qu’on peut écrire des lettres ouvertes et envoyer des denrées.

2 février.

J’ai écrit quinze lettres, arriveront-elles ? — Il fait un temps délicieux ; j’ai écrit la fenêtre ouverte. Les bourgeons commencent, à se montrer, le perce-neige sort du gazon ses jolies clochettes blanches rayées de vert. Les moutons sont dans le pré du jardin, mes petites-filles les gardent en imitant, à s’y tromper, les cris et appels consacrés des bergères du pays. Ce serait une douce et heureuse journée, s’il y avait encore de ces journées-là ; mais le parti Gambetta nous en promet encore de bien noires. Il a pris le mot d’ordre ; il veut la guerre à outrance et le complet épuisement. Pour quelques-uns, c’est encore quelques mois de pouvoir ; pour les désintéressés, c’est la satisfaction sotte d’appartenir au parti qui domine la situation et fait trembler la volaille, c’est-à-dire les timides du part