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l’étendue de son savoir. « Nous voyons bien, lui disait l’un d’eux, que toute l’érudition n’est pas retirée à Paris, et que la province a quelquefois des yeux plus clairvoyans que la capitale. » — « C’est pour le coup, lui écrivait un autre, que M. Trudaine dirait que vous avez sûrement vécu du temps des Romains. Il faudra bien croire à la métempsycose, et, à moins d’avoir été leur contemporain, ou d’avoir reçu d’eux de bons mémoires, il n’était pas possible d’arracher le voile que tant de siècles ont jeté sur ces précieux monumens. » Il serait curieux sans doute de chercher combien d’auteurs il a aidés de sa science obligeante, et tout ce qu’il y a de lui dans des ouvrages qui ne portent pas son nom ; mais sa correspondance nous rend un service bien plus important, et nous y trouvons des renseignemens d’un intérêt plus général dont il convient de profiter. Les rapports qu’il a entretenus avec presque tous les hommes qui se sont occupés des études qu’il préférait permettent de suivre et d’apprécier tout le mouvement scientifique du xviiie siècle. Cherchons, en lisant les lettres qu’il a reçues, à voir quelle direction ce mouvement prit alors en France, et essayons d’indiquer les causes qui en ont chez nous entravé ou arrêté les progrès.

Il n’y a que les esprits légers qui prennent facilement leur parti de voir la France n’occuper qu’un rang inférieur dans certaines branches des connaissances humaines. Le dédain et la raillerie qu’il est de mode de prodiguer chez nous à tous les mérites que nous ne pouvons posséder n’empêcheront point les gens sensés de regarder comme un grand malheur que nous soyons devenus si pauvres en philologues et en érudits de toute sorte depuis deux siècles. Quand on veut trouver les motifs de cette pauvreté, il ne suffit pas, je crois, d’accuser uniquement le caractère et le tempérament de notre nation. Nos voisins de l’est ne se gênent pas pour dire que c’est chez nous un vice de nature, que notre esprit est trop irrémédiablement futile pour s’appliquer avec succès aux études sérieuses, qu’il nous faut laisser à d’autres la gloire d’instruire le monde, et que nous ne savons que l’amuser. Ils oublient, quand ils parlent ainsi, qu’au xvie siècle nos érudits ont été les maîtres des leurs, qu’après l’Italie c’est chez nous que la renaissance a produit d’abord ses meilleurs fruits, que nos écoles étaient alors les plus florissantes de toutes, et que nous sommes le pays des Estienne et des Casaubon. Si par malheur le goût des travaux sérieux s’est ensuite affaibli en France, les causes en sont multiples ; mais il y en a une plus importante que les autres, et qui frappe les yeux. On peut cultiver les lettres partout, et toutes les situations de la vie leur sont en quelque façon favorables. Les poètes, les philosophes, peuvent naître dans le tumulte du monde comme