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et conservent de bons sujets pour la littérature ; dans le nôtre, tout ce qui n’est pas à Paris ou n’y tient pas par quelque endroit ne fait que ramper, » et, pour éviter ce triste sort, il se résigna au séjour de Paris.

Séguier fut plus ferme que lui. Ses amis pensèrent plus d’une fois, surtout quand il fut nommé membre de l’Académie des Inscriptions, qu’il se déciderait à quitter Nîmes ; mais il resta jusqu’à la fin provincial obstiné. Il avait su se faire chez lui une existence heureuse. Ces belles collections qu’il avait rapportées d’Italie, et qu’il ne cessait d’accroître, étaient commodément installées dans une maison construite exprès pour elles. Elles étaient connues dans le monde entier, et tous les étrangers savaient qu’après avoir visité les monumens antiques de Nîmes, il ne fallait pas manquer d’y voir le cabinet de M. Séguier. Il en faisait volontiers les honneurs, et il était fier de montrer aux curieux son herbier de quinze mille plantes, son médaillier, un des plus célèbres et des plus complets qu’il y eût alors en Europe, les deux cents empreintes de poissons fossiles trouvées sur le Mont-Bolca, les coquillages, les cristaux, les minéraux de toute sorte qu’il possédait. Ces visiteurs étaient quelquefois de grands personnages[1] ; il y avait parmi eux des princes, des généraux, des évêques, des ambassadeurs. Ils sortaient toujours de chez lui charmés autant que surpris d’avoir trouvé tant de modestie dans un savant et si peu de charlatanisme dans un faiseur de collections. Malesherbes n’oublia jamais les quelques heures qu’il avait passées avec Séguier, et quelques années plus tard, en lui annonçant la visite de sa fille, l’aimable et malheureuse Mme de Rosambo, qui devait l’accompagner sur l’échafaud révolutionnaire, il lui écrivait ces obligeantes paroles : « J’ai une fille, monsieur, qui sera plus heureuse que moi, car elle espère avoir l’honneur de vous voir. »

Le temps que Séguier ne donnait pas à ses correspondans et à ses visiteurs était consacré au grand ouvrage auquel il voulait attacher son nom. C’était non plus une collection de toutes les inscriptions connues, comme il avait voulu l’entreprendre dans sa jeunesse, — il était devenu plus modeste en vieillissant, — mais seulement un catalogue alphabétique, une sorte de table des matières qui renvoyait à propos de chacune d’elles au livre où elle était contenue, et permettait au savant de la retrouver. Tel a toujours été le caractère des ouvrages de Séguier ; il n’a cherché qu’à être utile. Le grand

  1. Séguier inscrivait sur un calepin, qui existe encore, le nom et la qualité des personnes qui venaient le voir. En dix ans, de 1773 à 1783, il a reçu près de 1,300 étrangers. Il en est venu 210 en 1777. Ces chiffres ont un certain intérêt pour ceux qui veulent savoir quel était le mouvement des voyageurs à la fin du siècle dernier.