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heures pour en amener 80,000 sur un champ de bataille en ne laissant que le strict nécessaire dans les autres positions, et en s’exposant à voir la ligne d’investissement coupée par une diversion vigoureuse sur un des points opposés au théâtre de l’action principale.

Aussi rien n’avait été négligé pour prévenir les retards et les surprises, pour multiplier les obstacles artificiels, pour compenser l’infériorité du nombre par la supériorité de l’artillerie, qui pouvait mettre en batterie plus de 800 pièces, sans compter les pièces de siège et de position. Des fils télégraphiques ordinaires, ou des câbles minces et solides que les télégraphistes embrigadés militairement déroulaient tout en marchant et accrochaient aux branches des arbres ou à la crête des murs, circulaient dans toutes les lignes et portaient en un instant d’une extrémité à l’autre les ordres partis du quartier-général. Aux carrefours, à l’entrée des routes, au coin des moindres sentiers, des écriteaux en langue allemande indiquaient les directions et rendaient toute erreur impossible. Le front des avant-postes était couvert soit par des tranchées, soit par des maisons et des murs crénelés, soit par des barricades improvisées avec des tonneaux, des fascines, des pavés. Chaque village, chaque propriété, était devenue à peu de frais une sorte de forteresse. Non contens de barricader les rues, de créneler les murs du côté de Paris, d’y ouvrir dans la direction opposée de larges brèches qui rendaient l’accès et la sortie également faciles pour les défenseurs, les soldats avaient disposé le long des clôtures plus élevées des tréteaux couverts de planches, des tonneaux, des meubles, et jusqu’à des pianos qui leur servaient de banquette et leur permettaient de faire un feu plongeant sur la campagne. Dans les champs et dans les espaces découverts s’échelonnaient de distance en distance des demi-lunes en terre assez vastes pour abriter 7 ou 8 tirailleurs, et qui se commandaient les unes les autres. Dans les bois, des abatis d’arbres, tout en dégageant les lignes de tir, hérissaient le terrain de chevaux de frise. Enfin, sur les positions dominantes, sur l’emplacement qu’occupèrent plus tard les batteries de siège, s’élevaient quelques ouvrages réguliers que tout Paris connaît aujourd’hui, et qui pour la plupart étaient achevés au mois d’octobre. Quant au passage de la Marne et aux communications entre les deux rives de la Seine, ils étaient assurés soit par les ponts des chemins de fer restés intacts, soit par des ponts de bateaux ou de charpente dont un, celui de Villeneuve-Saint-George, situé sur la principale route stratégique de l’ennemi, pouvait supporter les plus lourds fardeaux.