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jours la vérité, » s’était écrié un jour le Moniteur de Seine-et-Oise ; « mais nous ne disons pas toute la vérité, » ajoutait-il naïvement.

Le 20 janvier trompa l’attente générale. Dès le matin, la nouvelle se répandit que nous avions évacué les positions conquises ; plusieurs centaines de prisonniers, appartenant presque tous à la garde mobile, furent promenés dans les rues : la landwehr et les Bavarois regagnèrent leurs cantonnemens. Il fallut enregistrer un échec de plus ; personne cependant ne croyait la résistance arrivée à son terme. On savait que la famine était proche ; seulement, avant de manger son dernier morceau de pain, Paris voudrait sans doute venger et honorer sa chute par une de ces batailles gigantesques où les inspirations du désespoir déjouent quelquefois tous les calculs de la stratégie. L’arrivée même de M. Jules Favre dans la journée du 24 ne suffit pas à convaincre les incrédules ; on parlait de médiation étrangère, de négociations pour l’envoi d’un plénipotentiaire à la conférence de Londres : la sollicitude avec laquelle la police prussienne veillait sur le ministre français, gardé comme un prisonnier plutôt que comme un hôte dans la maison même du préfet de police, rendait toute communication impossible. Le bombardement continuait avec un redoublement de violence. Dans la soirée du 26 janvier, au moment où couraient déjà les premiers bruits d’armistice, les batteries de Saint-Cloud, de Meudon et de Châtillon tonnaient sans relâche, comme si elles eussent voulu épuiser leurs munitions ou s’acharner sur les ruines de nos forts démantelés. Les éclairs qui se succédaient aussi rapides que dans une nuit orageuse d’été illuminaient le ciel morne et froid : une lueur sinistre embrasait l’horizon au-dessus de Saint-Cloud et semblait s’échapper d’un vaste foyer d’incendie. Vers onze heures du soir, le silence des rues fut tout à coup troublé par le trot des cavaliers, par le bruit de la trompette qui sonnait dans les casernes : des pas précipités retentissaient sur le pavé, des soldats frappaient aux portes à coups redoublés, des lumières se montraient aux fenêtres, des dialogues rapides s’échangeaient entre ces messagers nocturnes et les officiers logés dans les maisons particulières qui sortaient à la hâte. Tout semblait annoncer une alerte ; mais peu à peu ces bruits s’éteignirent, et à minuit la canonnade cessa sur toute la ligne comme par enchantement.

Le lendemain, la vérité était connue, le rêve était fini : Paris capitulait. On apprenait en même temps par quel sauvage adieu l’armée prussienne avait voulu célébrer sa victoire. Le 26 janvier, dans l’après-midi, au moment où les ordres étaient déjà donnés pour la suspension des hostilités, la garnison de Saint-Cloud se répandit dans la ville, depuis longtemps veuve de ses habitans, mais où une