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La plupart des voyageurs qui parcourent ce pays, préoccupés exclusivement du désir d’admirer les chefs-d’œuvre de l’art accumulés dans les villes, négligent ordinairement de visiter les lieux qui sont le siège de ces merveilleux phénomènes. Ceux qui tiennent le plus à faire l’ascension du Vésuve, ou l’excursion des champs phlégréens, ne songent même pas à jeter en passant un coup d’œil rapide sur les terrains ardens, les salzes et les fontaines ardentes des Apennins, non plus que sur les suffioni de la Toscane. En décrivant brièvement quelques-uns de ces types d’émanations gazeuses qu’il m’a été donné de visiter et d’étudier il y a peu de temps, je voudrais ramener l’attention sur ces faits et montrer qu’ils sont dignes au plus haut degré d’exciter l’intérêt. Ils sont du reste curieux non moins par la singularité des conditions physiques de leur développement que par l’importance des débats qu’ils ont soulevés et par la haute valeur scientifique des deux hommes de génie, Spallanzani et Volta, qui ont pris la part la plus active à ces luttes pacifiques. Les gaz des dégagemens naturels sont-ils assimilables à ceux qui se développent dans les marais ? Nous verrons Volta répondre affirmativement, imaginer des expériences variées, inventer d’ingénieux appareils pour démontrer la réalité du fait. Nous aurons d’autre part à rappeler les recherches entreprises par Spallanzani, ses observations attentives, ses efforts pour soutenir une théorie directement opposée à celle de Volta, et prouver la nature purement inorganique des gaz en question.


I.

A peu de distance du point où la route carrossable qui conduit de Bologne à Florence franchit la crête des Apennins, on rencontre sur le bord du chemin un pauvre village connu sous le nom de Pietra-Mala, composé de quelques masures et d’une grande auberge autrefois fort achalandée, mais devenue presque déserte depuis l’ouverture du chemin de fer qui traverse les Apennins à quelques milles de là. De Bologne à Pietra-Mala, la route est fort accidentée, les montées sont longues et ardues, les voitures ne les gravissent qu’à l’aide de renforts fournis par de lourds attelages de grands bœufs à poil grisâtre. Aussi, en partant le matin de Bologne, bien que la distance ne dépasse pas trente milles, on n’arrive guère à Pietra-Mala qu’à la tombée de la nuit. Alors, quand l’obscurité est assez prononcée, on voit briller à gauche du chemin deux feux jaunâtres qui ondulent au souffle du vent. Ces feux sont dus à l’inflammation de gaz combustibles qui s’échappent sponta-