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des sectaires obscurs qu’on pouvait frapper sans scrupule et sans péril. Le supplice affreux qu’on leur infligea leur rendit le service de les faire mieux connaître. Ils durent être, au moins pendant quelques jours, l’entretien de Rome. C’est alors que, dans ces réunions élégantes où se racontaient les nouvelles, on entendit prononcer pour la première fois ce nom que beaucoup encore ignoraient, et qui devait être si grand. Il est impossible que les honnêtes gens, quelque insoucians qu’on les suppose et quoique habitués à tous les massacres, ne se soient pas demandé qu’étaient ces malheureux que Néron faisait brûler vivans pour abuser la colère du peuple. L’occasion était belle d’ailleurs pour tous les ennemis de césar, pour tous les mécontens du régime impérial, d’attaquer l’inhumanité du maître. Tacite, qui parle des chrétiens d’une manière si dure, constate que leur innocence et la cruauté avec laquelle on les traitait leur gagnaient les cœurs. A partir de ce moment, on ne pouvait plus ignorer leur existence, et, une fois l’attention publique éveillée, il était naturel qu’on cherchât à savoir ce qu’ils étaient, ce qu’ils enseignaient, ce qu’ils croyaient. Plusieurs de ces curieux devinrent vite des adeptes : il y avait alors trop d’âmes malades, fatiguées du présent, éprises de l’inconnu, avides d’émotions nouvelles, pour n’être pas attirées par un culte secret et persécuté, qui donnait des réponses précises à toutes les questions qui agitaient le monde. Dès lors, les conquêtes du christianisme furent innombrables. Sans doute, comme on l’a vu déjà, ceux qui vinrent d’abord à lui furent surtout les pauvres gens, mais on peut croire qu’il ne resta pas tout à fait étranger aux classes élevées de la société. M. de Bossi a démontré par l’étude des catacombes que bien avant Constantin des membres de la plus haute aristocratie romaine avaient embrassé la religion nouvelle. Il a trouvé dans les cimetières chrétiens de l’époque de Marc-Aurèle et des Sévères les noms des Cornelii, des Pomponii, des Cæcilii, et il se croit autorisé par certains indices à penser que ce mouvement qui entraînait quelques grandes familles de Rome vers l’Évangile avait commencé plus tôt. Si ses conjectures étaient véritables, il en faudrait conclure que le christianisme était au ier siècle moins inconnu des riches et des lettrés qu’on ne le pense. Il n’est donc pas tout à fait impossible que Sénèque en ait entendu parler, qu’il ait été curieux de le connaître, qu’un hasard l’ait rapproché de celui qui en était le plus éloquent apôtre. Ce ne sont encore là que des conjectures : tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’elles ne sont pas aussi invraisemblables qu’on l’a prétendu ; mais il faut attendre, pour y croire, que des témoignages précis en aient démontré la vérité. — Ainsi sur cette première question, qui consiste à se demander si Sénèque a connu