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être osé faire, ce que Mirabeau seul avait conseillé au commencement de la révolution, après les journées des 5 et 6 octobre 1789, les événemens viennent de le faire avec cette force instinctive et sans phrase qui leur appartient. Le siège du gouvernement n’est plus à Paris, et cela, ce n’est ni l’assemblée nationale qui l’a décrété, ni M. Thiers qui l’a voulu, c’est l’insurrection parisienne qui l’a décidé par l’expulsion du gouvernement. Paris en 89 avait été chercher tumultueusement le gouvernement central à Versailles, Paris en 1871 a expulsé tumultueusement le gouvernement central de ses murs et l’a forcé de s’établir à Versailles. C’est un grand cycle historique qui vient de s’accomplir. Le gouvernement central retournera-t-il un jour à Paris ? Question d’avenir : il y a pour et contre. Aujourd’hui, et pour un temps plus ou moins long que les événemens seuls et non les hommes peuvent mesurer, la question est décidée. Paris recouvre son indépendance communale en perdant le privilège, enviable ou non, d’être le siège du gouvernement central.

Si Paris veut changer l’indépendance communale en un droit de souveraineté générale sur la France, et cela parce qu’il est Paris, et par une sorte de droit divin, de même qu’il y a des gens qui prétendent que la république est au-dessus du suffrage universel parce qu’elle est la république et qu’il y a dans ce mot une vertu magique de souveraineté, si Paris se jette dans ces superstitions, Paris aura contre lui toute la France. Si au contraire Paris se renferme dans ses droits communaux et s’il maintient son indépendance municipale, sans attenter à celle des autres communes de France, il y a là, dans la crise du présent un élément de transaction qui peut ramener la paix intérieure sans passer par la guerre civile ; les forces de la loi seront réservées et dirigées seulement contre les assassins et les usurpateurs de la souveraineté nationale, et dans l’avenir Paris ne perdra rien de sa grandeur. Il ne peut pas oublier que les deux siècles pendant lesquels il a acquis le plus de puissance en France et le plus d’ascendant en Europe sont le xviie et le xviiie, et que pendant ces deux siècles le gouvernement central n’était point dans ses murs. C’est par lui-même que Paris est une capitale, et non parce qu’il a obtenu d’être le siège du gouvernement central ; il faut laisser ces ressources accessoires aux villes de province qui sollicitent une garnison pour augmenter le revenu de leurs octrois.

f. de lagenevais.