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de la politique des princes, une cause toujours active provoquait les envahissemens : c’était l’instinct inquiet, aventureux, qui pousse le peuple le moins favorisé vers les contrées dont il envie la richesse et la beauté. L’adoucissement progressif des mœurs a pu amortir la vivacité de cet instinct barbare, il ne l’a pas détruit. L’histoire est pleine du récit des guerres soutenues par la Gaule contre la Germanie ; dans ces descriptions anciennes, remarquons deux traits que César et Tacite nous signalent : les ruses guerrières des Allemands, leur habitude de se glisser et de combattre dans les bois, comme aussi la présomptueuse insouciance des Gaulois, « qui ne se gardent jamais, » disent les Commentaires. Le peuple français, dans ses défaillances militaires et dans ses convulsions politiques, a une pente naturelle à redevenir peuple gaulois. Au ve siècle, et plus tard à l’époque des Normands, mêmes ressemblances avec des temps plus modernes : tantôt la férocité destructive, impitoyable ; tantôt la douceur insidieuse, une sorte d’ironie sauvage, expression de l’instinctive hypocrisie du barbare. « Ayez pitié de vous-mêmes, » criaient les envahisseurs aux populations qui préparaient la défense, « ne nous forcez pas à des représailles. » Ces bandes d’Alains, de Goths, de Burgundes, qui nous présentent, avec des nuances si tranchées et dans toute la force du contraste originel, les variétés de race, d’humeur et de langage, dont le fond, après tant de révolutions, malgré l’unité récemment imposée, subsiste encore en Allemagne, — ne sont-elles pas déjà, dans leur fortuite coalition, la figure primitive et l’ébauche d’une invasion confédérée ? Le fléau sévissait sous deux formes : ici, rapide et violent, ravageant tout, comme une trombe ou comme « une mer furieuse ; » plus loin, méthodique et réfléchi, réquisitionnant les esclaves, divisant le sol conquis entre les vainqueurs et les vaincus. Un épisode intéressant de cette longue histoire, c’est le siège de Paris, tenté sans succès par les Normands en 885. Un témoin oculaire, Abbon, moine de Saint-Germain-des-Prés, l’a décrit dans un poème en trois chants. Son latin, mélangé d’hellénisme, alourdi de digressions théologiques, est obscur et prétentieux ; mais un souffle guerrier l’anime, et cette grossière peinture des héros parisiens du ixe siècle ne manque pas d’une âpre grandeur. Paris alors, c’était la cité ; sept cents barques, chargées de 30,000 pirates, couvraient les bras de la Seine, lançant des torches et des flèches contre les murailles de bois et battant les tours avec d’énormes béliers. La maîtresse tour s’élevait, du côté nord, sur la place actuelle du Châtelet ; là se concentra l’effort suprême et de l’attaque et de la résistance. Après onze mois d’un blocus rigoureux et d’assauts multipliés, le siège fut levé. Les Normands abandonnèrent leurs lignes fortifiées de Saint-Germain-l’Auxerrois.

J’ai loué l’idée principale et le dessein de cet abrégé ; mais je ferai quelques réserves sur l’insuffisance de l’exécution. L’auteur m’a paru