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lieu entre les fils de Clovis. L’Austrasie, battue d’abord, l’avait ensuite emporté, et bientôt, grâce à l’énergie d’une grande famille, celle des Pépin et des Charles, sa suprématie était devenue complète ; les Austrasiens formaient le corps national le mieux organisé et le plus compacte qui fût alors. Après la soumission de la Neustrie, un autre rôle s’était offert à la vaillance de cette masse d’hommes belliqueux. Une nouvelle invasion barbare menaçait d’inonder l’Occident par l’est et par le midi ; ce furent les princes austrasiens qui, à la tête de tous les guerriers de la Gaule franque, eurent la gloire d’arrêter les hordes germaniques et musulmanes. Encore une fois la revanche des peuples cisrhénans était complète ; les possesseurs du vieux pays salien et de la Forêt-Charbonnière régnaient en maîtres sur les Allemands. À la puissante organisation militaire de l’Austrasie, Charlemagne avait ajouté l’éclat des lumières, le prestige des arts et aussi la force qui résulte d’une intelligente centralisation. Sous lui, ce pays était devenu le rendez-vous des hommes éminens de toutes les provinces : Germanie, Bourgogne, Italie, Neustrie. Quant à l’influence gallo-romaine, elle était jusqu’à nouvel ordre bien effacée ; la Neustrie et Paris n’avaient plus qu’un rôle secondaire. Cette prépondérance de l’Austrasie n’eut que la durée éphémère du factice empire carlovingien. Après avoir été un centre dominateur, cette contrée allait devenir une sorte de territoire neutre, ce qu’on appelle un « pays frontière. » Les parties qu’elle unissait de vive force n’avaient entre elles aucune affinité ; chacun tirait de son côté, — la France neustrienne, parce que, l’amalgame des races conquérante et indigène s’étant consommé dans son sein, elle commençait à se sentir un être à part, — l’Allemagne, parce qu’en fait de civilisation elle était en retard de trois siècles sur la Gaule, — l’une et l’autre, parce que chez toutes les deux le particularisme féodal était la négation même de cette monarchie centralisatrice et romaine que Charlemagne et ses descendans avaient prétendu leur imposer. On sait comment la scission éclata sous Louis le Débonnaire par la guerre civile, et aboutit sous les fils de ce prince au démembrement de l’empire d’Occident.

Le traité de Verdun (842), qui pèse encore sur nous après plus de mille ans, consommait, avec la ruine de l’Austrasie, épuisée par ses victoires antérieures, la séparation politique de la France et de l’Allemagne. Le Rbin redevint le fleuve qui, selon l’expression de Salvien, « sépare deux mondes ; » sur ses rives devaient se former deux nationalités distinctes dont l’une était destinée à terminer bien avant l’autre son travail d’unification. L’Austrasie, écrasée à la fois par les deux peuples irréconciliables qu’elle avait essayé un instant de joindre, fut réduite à n’être plus qu’une portion d’un des états