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qu’un faiseur de systèmes ; même quand il prend aux autres les principes qu’il exprime, il leur donne un degré de plus de chaleur et de générosité. Non content d’éclairer, il entraîne. Sa morale a quelque chose de plus pénétrant, de plus pratique ; elle semble vivre davantage. Voilà sa véritable originalité ; c’est ce qui trompe quand on l’écoute, et qui fait croire qu’il a dit le premier ce qu’il répète après beaucoup d’autres. C’est en ce sens que de Maistre a pu prétendre « qu’il parle de Dieu et de l’homme d’une manière toute nouvelle ; » mais ce mérite même ne lui appartient pas entièrement : il est plutôt celui de son époque que le sien, et on le reconnaît sans peine quand on étudie la direction que prit à ce moment la philosophie.

La philosophie romaine, on le sait, gagna beaucoup à la ruine du régime républicain ; elle hérita de ce que perdait la politique. L’activité des esprits que n’occupaient plus les affaires publiques se porta volontiers vers les recherches curieuses, qui prirent dès lors une importance qu’elles n’avaient pas pour la conduite de la vie. Tant que dura la république, les citoyens avaient pour se diriger une sorte d’enseignement domestique de principes et de traditions laissés par les aïeux : la grande règle, pour être honnête, consistait à agir conformément aux anciens usages, more majorum. La philosophie trouvait donc la place occupée, et ne pouvait pas avoir pour le plus grand nombre d’application pratique. Elle n’était guère alors que ce qu’elle est chez nous, un plaisir délicat ou un exercice utile de l’esprit. Cicéron lui-même parut d’abord étonné que Caton prétendît en faire autre chose. « Il l’avait étudiée, disait-il, avec une surprise profonde, non pas pour exercer son intelligence, mais pour vivre d’après ses préceptes. » Les choses changèrent quand vint l’empire. Les vieilles traditions achevèrent peu à peu de se perdre, et, en se perdant, elles laissèrent une grande incertitude dans la morale publique. D’après la belle expression de Lucrèce, tout le monde cherchait à tâtons le chemin de la vie. Il fallut bien faire alors comme Caton, demander à la philosophie une direction qu’on ne trouvait plus ailleurs. C’est ce qui explique le caractère qu’elle prit à ce moment : elle renonça de plus en plus aux subtilités dogmatiques, et se fit autant qu’elle put pratique, humaine, appliquée. Les sages qui la dirigèrent de ce côté ont laissé peu de réputation ; c’était naturel : ils agissaient plutôt sur leurs contemporains qu’ils ne travaillaient pour l’humanité. Quand on s’attache spécialement aux besoins de son temps, qu’on ne cherche qu’à les satisfaire, on lui rend sans doute de grands services, mais on risque de disparaître avec lui. Sextius le père, est un des philosophes qui paraissent avoir eu à ce moment la plus grande influence. Ses livres, écrits en grec, étaient, comme nous les appellerions aujour-