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— Ah ! ce mot cruel, vous ne savez pas le mal qu’il me fait ! Dans combien d’occasions ne l’avez-vous pas profané !

— Accablez-moi ; mais ce triste souvenir, je l’effacerai. Ni la patience, ni les efforts ne me manqueront. Ce sera l’œuvre de tous mes jours, la pensée qui dirigera toutes mes actions.

Il parla quelques instans sur le ton de l’exaltation la plus vraie. Gilberte n’y était pas accoutumée. Les accens de cette voix, dont chaque vibration l’avait émue, amollirent sa résistance. À demi vaincue, prise d’un attendrissement soudain qu’elle subissait en le condamnant : — Eh bien ! essayez, dit-elle.

Quand elle reprit le chemin de La Marnière, Gilberte était tout à la fois heureuse et mécontente. Heureuse d’avoir découvert cette chaleur et cette vie dans un cœur qu’elle avait vainement disputé aux tentations mauvaises, et mécontente aussi parce que la foi lui manquait. Cette complaisance hâtive, après ce qu’elle avait répondu à sa mère, ne la diminuait-elle pas ? Ne l’engageait-elle pas aussi ? Dans ce cas, n’était-ce pas jouer toute sa vie sur l’émotion d’une heure, née de la circonstance, et qui n’aurait pas plus de durée que la rosée du matin ? Pourquoi remettre le pied sur cette pente fatale qu’elle avait gravie et descendue au milieu de tant de larmes ?

Gilberte avait voulu revenir seule, déjà troublée par le mot qui était tombé de ses lèvres. Chemin faisant, elle rencontra un ruisseau dont les eaux gonflées par des pluies récentes emportaient dans leur cours des branches mortes qu’elle avait vues la veille encore étalées sur les rives. Elles descendaient en foule dans l’écume blanchissante du flot. Son regard les suivait dans leur faite. Elle eut un sourire, et un rayon d’espoir pénétra dans son cœur. Pourquoi un flot (le saines pensées et de vivifiantes inspirations n’emporterait-il pas les souillures dans lesquelles M. de Varèze s’était oublié ? N’étaient-elles pas dans son passé comme ces branches desséchées qui n’ont plus ni racines ni feuillage ? Il n’avait fallu qu’une pluie d’été pour les ravir au lit d’herbe où elles reposaient. Que fallait-il donc pour effacer jusqu’à la trace des défaillances dont la jeunesse de René avait souffert ? Était-il dans son rôle d’être implacable et dure à ce qui venait à elle plein de bonnes résolutions ?

Peu de jours après, un incident força René à se rendre à La Gerboise, où il pouvait plus facilement donner audience à une personne avec laquelle il était en règlement de comptes. Cette liquidation, ce nettoyage, comme il disait lui-même dans un langage familier, d’étourderies et de sottises qui avaient duré un certain nombre d’années se greffant les unes sur les autres, demandait des correspondances et des conversations et un triage de vieux papiers qui pouvaient se faire plus commodément dans son appartement de