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passé depuis le commencement de la guerre, depuis le jour où les premiers boulets allemands éclataient sur leur usine de Styring, entre Sarrebruck et Forbach ! On dit que nos ennemis ne leur pardonnent point leur patriotisme, que l’un d’eux a été conduit dans une forteresse allemande pour expier le crime d’avoir détruit de ses propres mains sa fabrique de projectiles, avant qu’elle tombât au pouvoir des Prussiens ; on dit que le château d’Hayange, une des plus opulentes résidences de la Lorraine, reconstruit et décoré à neuf depuis quelques années, a été pillé en partie, et que des domestiques allemands, employés depuis longtemps par la famille de Wendel, ont guidé les recherches des pillards. Plus loin, à l’endroit même où le parti militaire de Berlin voudrait établir la frontière française, des sentinelles prussiennes, enveloppées de vêtemens si épais que l’uniforme tout seul se tiendrait debout, montent la garde d’un pas lent et méthodique au pied du viaduc de Knutange. Chaque gare du reste est soigneusement gardée par un poste de vingt-cinq hommes qui envoient d’une gare à l’autre de fréquentes patrouilles. À Fontoy, à Audun-le-Roman, les casques prussiens reparaissent ; au besoin, ces soldats, distribués avec ordre, seraient chargés des exécutions militaires dans le cas où les communes refuseraient de payer les énormes contributions de guerre que l’ennemi leur impose. L’armistice ne suspend ni les réquisitions ni le recouvrement de l’impôt établi par nos vainqueurs ; d’après les termes mêmes d’une dépêche envoyée de Versailles en Lorraine, la convention signée entre la France et la Prusse autorise simplement les Prussiens à employer des moyens plus doux avant de recourir, s’il le fallait, au pillage et à l’incendie. Le seul acte de propriété que feront cette année les propriétaires lorrains sera de payer à la Prusse un impôt triple de celui qu’ils payaient à la France.

La tour carrée de Longwy, qu’on découvrait autrefois, comme un phare, à quatre lieues de distance, penche maintenant sa tête mutilée ; des magnifiques ombrages qui entouraient les remparts et faisaient à la ville une verte ceinture, il ne reste plus que des arbres épars, isolés, comme des soldats qui resteraient debout au milieu d’un régiment fauché par la mitraille. Sur la route, des branchages accumulés, des pierres arrachées des murs et amoncelées rappellent que les Prussiens élevaient des barricades à l’entrée des villages pour se préserver des sorties de la garnison. On n’a même pas respecté deux petits monumens expiatoires, et les croix brisées gisent à terre. Retrouverai-je au pied de la forteresse, dans la riante vallée de Rehon, la maison où je suis né, où mes parens espéraient vieillir en paix ? Placée entre les batteries des assiégés et celles des assiégeans, aura-t-elle échappé à leur feu ? Tout à coup je pousse un cri de joie en apercevant, à un détour du chemin, du haut de la colline