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Prussiens, qui venaient de détruire leur asile, acceptèrent leurs services. À la veillée, pendant les soirs d’hiver, les paysans lorrains se raconteront longtemps cette histoire.

On racontera aussi la destruction du village de Fontenoy, près de Toul, brûlé récemment parce que des francs-tireurs avaient fait sauter aux environs le pont du chemin de fer. À la tombée de la nuit les soldats prussiens chargés de l’exécution militaire envahirent toutes les maisons, en chassèrent les habitans à coups de crosse de fusil, sans leur permettre de rentrer chez eux et d’emporter même le plus mince objet, entassèrent dans les chambres des fagots, des bottes de paille, et mirent le feu partout. Les récoltes, les provisions, le mobilier, les vêtemens des pauvres gens, jusqu’au linge de corps, tout fut anéanti ; les chevaux, les vaches, les moutons les porcs, brûlèrent dans les écuries : on dit même qu’une femme infirme, qu’on n’avait pu transporter ailleurs, disparut sous les décombres de sa maison ! Mais la justice prussienne ne se borne pas en général à des punitions sans profit ; ses sentences se terminent presque toujours par une amende. Ici, on rendit cinq départemens responsables d’un acte de guerre commis à leur insu par des troupes venues de loin, qui n’avaient eu besoin pour le commettre ni de la complicité ni du secours des habitans, et on exigea de la Lorraine une contribution de 10 millions ; de plus il fallut que des travailleurs de Nancy vinssent rétablir le pont détruit par des soldats français. On en demanda d’abord 500, et comme personne ne s’était présenté pour ce travail, on défendit aux patrons et aux surveillant, sous peine d’être fusillés, de payer le moindre salaire à leurs ouvriers tant que le nombre de bras exigé ne serait pas complet. Il y eut même un jour à Nancy, sur la carrière de la place Stanislas, une sorte de presse ou de razzia pour emmener à Fontenoy et faire travailler au rétablissement du pont toutes les personnes, de quelque condition qu’elles fussent, qui passaient sur ces deux points de la ville à l’heure où il y vient le plus de monde.

L’armistice n’interrompt en Lorraine ni les réquisitions dans les villages, ni la perception des impôts levés par les autorités allemandes, ni même les mesures contre les personnes. La petite commune de Réméréville, près de Nancy, recevait récemment la visite de cavaliers et de gendarmes prussiens qui venaient y réclamer sur-le-champ une contribution de 2,600 francs. Les habitans n’y sont pas riches, et avaient déjà beaucoup donné ; quelques efforts que l’on fît, on ne put réunir que 2,500 francs. Les agens du fisc prussien refusèrent de recevoir 100 francs de moins qu’il ne leur était dû, et partirent en annonçant que, si la somme entière n’était pas payée dans un délai très rapproché, ils procéderaient à une exécution militaire. À Nancy, on se croit à chaque instant sous la