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tisme indigné. Et cependant, même à cette heure, les fantômes sont pour beaucoup dans les griefs échangés des deux parts. La réaction était ardente contre la république et contre la guerre, dans la plupart des départemens, lors des dernières élections. Elle n’est pas moins furibonde aujourd’hui contre Paris ; mais ce qu’il faut considérer dans un mouvement d’opinions, ce sont les actes du plus grand nombre, non les clameurs de quelques-uns. Or, en tenant compte de tous les sujets d’alarmes qui lui ont été donnés, on ne saurait nier que la province, prise en masse, n’ait montré depuis huit mois beaucoup de bon sens, et les hommes qu’elle a investis de sa confiance beaucoup de modération et de sagesse. Le patriotisme s’y est élevé au-dessus de toutes les préventions et de tous les regrets, jusqu’au moment où il s’est refusé à des efforts qui lui apparaissaient clairement comme la ruine même de la patrie. Quand la lutte s’est engagée entre les adversaires et les partisans des dictateurs de Bordeaux, les partis ont agi, dans la façon dont ils se sont groupés et dans les concessions qu’ils se sont faites, avec une remarquable entente des conditions de la vie politique. Les populations qui ont reçu leur mot d’ordre se sont prêtées, avec une sagacité non moins grande, à toutes les exigences d’une campagne électorale sous le régime si compliqué du scrutin de liste. Nulle part ce mode de votation, qui semblait destiné dans l’intention de ses inventeurs à fortifier l’influence des grands centres, n’a été mieux compris, n’a mieux montré la force respective des opinions, que dans les petites villes et dans les campagnes. On a voté presque partout, non pour des individualités que la plupart ne connaissaient pas, mais pour des intérêts, ou, si l’on veut, pour des passions dont se rendaient parfaitement compte les électeurs les plus ignorans. De là, dans toutes les classes comme dans tous les partis, un zèle extrême à voter, malgré la rigueur de la saison et la gêne, plus vexatoire qu’efficace, du vote au chef-lieu de canton. Les paysans venaient en masse, par communes, avec leurs drapeaux, souvent de plus de cinq lieues, remplir leur devoir électoral. De quelque façon que l’on juge l’esprit qu’ils ont apporté à ce devoir, l’ordre et la discipline avec lesquels ils ont fait acte de citoyens sont sans contredit d’un bon augure pour la pratique persévérante et sincère du gouvernement du pays par lui-même. Dans cette lutte si habilement conduite, la victoire éclatante des conservateurs signifiait assurément, pour ceux des vainqueurs qui parlaient le plus haut et qui avaient déployé le plus d’activité, la paix à tout prix et le renversement aussi prompt que possible de la république ; mais les exagérés n’avaient agi que comme soldats, et l’influence prédominante avait appartenu à l’élite libérale des partis coalisés, qui seule pouvait maintenir entre eux l’union. Ceux qui prennent à