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expié, est de s’être laissé surprendre, comme le gouvernement lui-même, par le succès en quelque sorte foudroyant d’une insurrection qui, en une nuit, s’est trouvée maîtresse de presque tous les moyens d’action du pouvoir central et des administrations municipales dans la double enceinte d’une immense place forte, et contre laquelle il n’a été possible à la résistance intérieure, désorganisée et sans chefs, que de défendre pendant quelques jours quelques positions isolées. Malgré la puissance des faits accomplis, malgré la persistance des bruits de trahison ou de conspiration réactionnaire, et en dépit de programmes équivoques rédigés avec une habileté digne de l’empire, quand l’insurrection a fait appel au suffrage universel, les votes dont elle a pu se prévaloir ne se sont pas élevés au tiers des électeurs inscrits ; les deux autres tiers ou se sont abstenus ou ont fait par leurs votes acte d’opposition. Trois semaines plus tard, de nouvelles élections réduisaient encore le chiffre de la minorité acquise aux nouveaux arbitres des destinées de Paris, de la France et du monde. Il s’en faut donc de beaucoup que Paris soit représenté par sa prétendue commune ; il ne l’est pas davantage par l’armée cosmopolite qui combat pour elle, quelques avantages que donnent au recrutement de cette armée la solde, la contrainte et l’apparence des convocations régulières au sein d’une organisation toute formée. Paris est avec sa représentation légale, avec ceux de ses députés qui ont gardé leur poste à Versailles. Leur attitude au milieu de leurs collègues exprime exactement celle qu’il a lui-même en face de la province. Ils se partagent entre la gauche et l’extrême gauche ; mais tous ont affirmé leur attachement à l’ordre et leur respect des lois, et la modération de leur langage a fait souvent contraste avec la violence de quelques membres de l’extrême droite. Entre eux et la majorité, la dissidence la plus grave est dans la nature de l’adhésion à la république : d’un côté, c’est une affirmation absolue et exclusive ; de l’autre, une acceptation conditionnelle, laissant une porte ouverte à une restauration monarchique.

L’entente existe donc pour le moment ; or c’est méconnaître la force des choses aussi bien que les droits du suffrage universel que d’exiger davantage : dans l’état des esprits, toutes les déclarations et toutes les constitutions du monde n’auraient pas plus d’efficacité que cette entente provisoire pour enchaîner l’avenir. La guerre civile pour un intérêt éloigné dont aucune volonté n’est maîtresse est une monstrueuse folie. Il n’est pas moins insensé de perpétuer la haine entre concitoyens et la discorde entre deux portions d’un même territoire pour toutes les questions particulières sur lesquelles l’accord n’a pas pu s’établir et qui ne comportent pas d’ajournement. Plusieurs de ces questions sont assez graves sans doute pour justifier la distinction et même les luttes ardentes des partis