Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas lourd et cadencé, aux sons du fifre et du tambourin ; enfin les mystérieux canons d’acier, soigneusement enveloppés d’une gaîne de cuir.

Le 17 août, après les Prussiens, vinrent les Bavarois, ces Allemands méridionaux, aux couleurs plus gaies, à l’uniforme bleu de ciel, au suranné casque à chenille, qui portent à leur boutonnière, attaché à une houppe verte, le sifflet de ralliement, mais qui se laissent arracher les épaules par un sac mal équilibré. Pendant des semaines entières, les régimens bleus succédaient aux régimens bleus de ciel. Le prince royal fixa son quartier-général à Nancy, le roi Guillaume à Pont-à-Mousson. L’armée qui vainquit à Sedan et qui investit Paris passa tout entière, une masse de plus de 400,000 hommes, par Nancy et les communes voisines.

Telle est l’histoire de cette fameuse prise de Nancy, ville que beaucoup de Parisiens croyaient fortifiée, par quatre uhlans. M. Granier de Cassagnac attaqua cette ville à la tribune, et provoqua une protestation indignée du conseil municipal et des citoyens. Une meilleure protestation fut la défense intrépide de Toul par les 3e et 4e bataillons et l’artillerie de la mobile de la Meurthe, la belle conduite du 1er bataillon à Phalsbourg. En outre les mobiles de la Moselle sous les murs de Metz, le 2e bataillon de la Meurthe et les quatre bataillons des Vosges, ces derniers malgré l’insuffisance de leur équipement, en dépit de leur blouse de toile blanche agrémentée de galons rouges, sous les pluies d’automne et les pluies d’hiver, dans les diverses campagnes de l’est, prouvèrent que la valeur antique n’avait pas complètement dégénéré.

En même temps que les canons et les caissons de l’armée allemande, des centaines de pauvres charrettes, traînées par de misérables chevaux, conduites par des paysans de la Souabe, recouvertes sur des cercles de bois d’une bâche poudreuse et sordide, mais soigneusement numérotées, ainsi que leurs conducteurs, défilaient sans interruption, se rangeaient sans bruit et avec un ordre admirable sur les places de Nancy, qu’elles remplissaient aussitôt de fumiers, et, après avoir reçu leur chargement de vivres ou de munitions, disparaissaient connue par enchantement pour une destination inconnue. Des milliers de jeunes gens, qui n’étaient pas tous de tenue et de manière irréprochables, munis du brassard international, affluaient au bureau des billets de logement, puis des marchands de tabac d’Allemagne, puis des brocanteurs, des vivandiers, jusqu’à des mendians allemands avec leurs femmes et leurs enfans en haillons ! La Germanie entière se jetait comme affamée sur les provinces alors si riches de la France orientale.

Sur les murailles de Nancy s’étalèrent un certain nombre d’affi-