Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peur et de colère au seul nom de francs-tireurs, ils furent sans pitié pour ceux qu’ils regardaient comme leurs complices. L’autorité allemande, pour faire oublier d’atroces cruautés, a essayé de répandre le bruit qu’un soldat allemand avait eu le nez et les oreilles coupés. Elle a menti. En tout, dans cette affaire, il n’y eut qu’un mort, un blessé, neuf prisonniers, que les soldats français, avec cette générosité qui sera toujours inintelligible pour les maîtres de la Prusse, renvoyèrent le lendemain, sains et saufs, au commandant de Toul. Les Allemands furent cruels dans ce malheureux Fontenoy ; ils accablèrent les habitans de coups de crosse et de coups de sabre ; la femme du maire fut battue, traînée par les cheveux ; une jeune fille de dix-huit ans reçut, à ce que nous raconte un témoin, « autant de coups qu’elle en pouvait porter, » d’autres s’enfuirent au milieu des balles.

À huit heures apparaissait à Toul un détachement d’infanterie avec les ordres du commandant. Tous les habitans qu’on put saisir, hommes ou femmes, furent brutalement ramassés en un troupeau. Un pauvre vieillard de quatre-vingts ans, courbé en deux, voulut s’approcher de sa famille qu’on emmenait : un coup de fusil l’étendit mortellement blessé. Le maire, le chef de gare, le curé de Gondreville, qui était accouru pour s’interposer, furent arrêtés. Puis de nouvelles troupes, uhlans et Bavarois, arrivèrent de Nancy, et commencèrent à brûler : le premier jour toutes les auberges, la maison d’école, celle du maire, y passèrent. On enduisait les paillasses de pétrole ; on rejetait à coups de baïonnette les habitans dans leurs maisons enflammées Ils ne durent la vie qu’à l’existence de portes de derrière. Une vieille femme paralytique fut brûlée dans son lit. L’exécution devint bientôt une orgie. Les soldats étaient venus de Nancy avec leurs gourdes pleines d’eau-de-vie ; c’est toujours ainsi que s’y prend le despotisme pour obtenir des crimes. D’ailleurs les habitans, effarés, avaient cru humaniser leurs exécuteurs en leur versant à boire. Plusieurs prisonniers furent maltraités à tel point, qu’ils expirèrent à l’hôpital de Nancy.

Le lendemain, le surlendemain, l’incendie recommença ; le village fut brûlé à petit feu sous les yeux des habitans. Après les ordres du commandant de Toul vinrent ceux du gouverneur de Nancy, et comme celui-ci hésitait à consommer la ruine de ces pauvres masures, Versailles donna l’ordre de tout brûler. De cinquante-cinq maisons, cinq seulement, outre l’église, furent épargnées. Encore des officiers prussiens, amateurs de photographie, étant venus de Toul et ayant disposé leur objectif sur le théâtre de ce glorieux exploit, s’aperçurent que précisément l’une des maisons situées au premier plan était debout. Cela faisait mal dans le paysage, on