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rance est très grande, non pas que les croyances soient faibles ou que l’on se fasse de part et d’autre de ces concessions qui ne sont que le fruit de l’indifférence, mais parce que tous reconnaissent une autorité supérieure, qui est la même, et rentrent dans le domaine éminent de l’état. La liberté d’enseignement, dont le nom seul suffit ailleurs à soulever des orages, ne parvient pas même en Prusse à arrêter sérieusement l’attention. Il n’y a pas longtemps qu’au congrès catholique de Trêves une proposition faite en ce sens par un journaliste français demeura sans écho, et fut écartée. C’est ainsi que dans ce pays la plus grande liberté religieuse a pu s’établir à côté du gouvernement le plus vraiment théocratique peut-être qu’il y ait en Europe.

Tandis qu’en Allemagne le clergé s’est montré favorable à l’instruction obligatoire, il l’a combattue en France : dans l’un de ces pays, on lui en a confié la direction ; dans l’autre, on la lui refuse. L’instruction populaire en Prusse tend à maintenir les croyances ; en France, elle tend à les ébranler. C’est que d’un côté le peuple est soumis et appliqué, tandis que de l’autre il est léger, frondeur, impatient de tous les jougs, jaloux de toutes les formes d’indépendance. L’affranchissement pour lui, c’est la rupture pure et simple des liens et des barrières ; il se soucie peu de se rendre digne de la liberté, et lorsqu’il l’a conquise, souvent au prix de grands efforts, il oublie d’en faire usage. Notre ennemi, c’est notre maître ; le dicton chez nous est devenu proverbial. Le prêtre est notre premier maître, et par conséquent notre premier ennemi. La France a été irréligieuse bien avant d’être révolutionnaire. Cela explique les luttes ardentes que provoque chez nous l’instruction obligatoire et le malentendu auquel elle a donné lieu entre l’église et les partis libéraux. Le clergé sans doute a tort de s’y opposer lorsqu’il ne considère que les intérêts de la foi, la nécessité de maintenir les âmes dans le repos, de soutenir certaines croyances qui ne sauraient être scientifiquement démontrées : l’exemple de l’Allemagne ne justifie aucune de ces craintes. Les catholiques ont raison au contraire de résister au nom de la morale pure lorsque, s’en tenant à l’état actuel de nos mœurs, ils redoutent de livrer un agent de propagation aussi énergique aux doctrines négatives des sophistes populaires. De même le parti libéral affirme justement que l’état a le droit et le devoir d’aider au développement moral des citoyens, et que ce droit prime celui du père de famille ; mais ce parti s’abandonne à de grandes illusions lorsqu’il croit, en décrétant l’obligation dans l’enseignement, qu’il imprimera par cela seul une impulsion puissante au progrès moral du pays : il en aura réalisé une condition et rien de plus.