et le détourner. Il ne suffirait donc pas d’introduire chez nous le système
prussien. Les véritables raisons de notre effacement militaire
sont beaucoup plus profondes. L’incapacité des chefs nous a bien
autrement nui que l’ignorance des soldats. Cette incapacité elle-même
n’est qu’un des symptômes de la mollesse intellectuelle où
s’est endormie la nation et du défaut de critique qui en est résulté
dans les esprits. Nous avons négligé de suivre le mouvement des
temps, et nous n’avons pas su le comprendre. Les Prussiens n’ont
rien inventé que nous n’eussions pu trouver comme eux, ou tout
au moins leur emprunter. Le gouvernement dédaignait les rapports
qui lui étaient adressés, et l’opinion, à laquelle pourtant les avertissement
ne manquèrent point, ne cherchait nullement à s’éclairer
sur ces questions. Les ressources en tout genre nous ont bien moins
manqué que les hommes. On insiste trop d’ailleurs sur l’ignorance
de nos troupes, on l’exagère beaucoup, et à coup sur la rapidité
d’intelligence des soldats compensait sur beaucoup de points ce qui
pouvait leur manquer du côté des connaissances scolaires. Cette instruction,
si incomplète qu’elle fût, en a-t-on tiré tout le parti possible ?
l’a-t-on mise en œuvre ? y a-t-il été fait quelque part un
appel quelconque ? La routine militaire n’est pas une réponse, car
le même défaut peut être reproché aux chefs improvisés donnés à
nos mobiles et aux gardes nationales. On admire cette connaissance
des langues répandue dans l’armée prussienne jusque dans les
rangs les plus infimes. Un Allemand qui a été six années à l’école,
qui a voyagé cinq ans, qui parle trois langues et les écrit, se
trouve très heureux d’être teneur de livres ou bien kellner (sommelier)
dans un hôtel ; il est simple soldat, quelquefois sous-officier
de landwehr, et s’en contente. En France, ce même homme
rêverait quelque emploi magnifique, ne l’obtiendrait pas, se déclasserait
alors, et jetterait son gant à la société ; il aurait voulu être
major dans l’armée auxiliaire, ou peut-être ministre des relations
extérieures d’un gouvernement communaux.
Dans de telles conditions, la noblesse prussienne ne s’est pas montrée moins empressée que le clergé à pousser à l’instruction obligatoire. Elle avait gardé tous ses droits jusqu’au commencement du siècle, maintenu beaucoup de privilèges jusqu’en 1848, et elle conserve encore maintenant une influence de fait prépondérante. Foncièrement monarchique et piétiste, elle sent trop bien que ses intérêts sont liés à ceux de la couronne et du clergé pour se séparer d’eux en quoi que ce soit, et négliger aucun des moyens d’action qui les ont si bien servis. Quant aux junker, officiers ou petits agriculteurs, ils ont appris dans leurs écoles militaires que l’instruction obligatoire est l’une des premières conditions de la discipline des