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raient donc perdu 1,227,821 francs par jour, et pour trente jours 36,834,630 francs, ce qui présenterait au bout du terme de deux mois auquel nous touchons, et qu’il est désormais impossible d’éviter dans la suspension des travaux, la somme de 64,846,692 fr., déduction faite de huit jours de repos. De la part des femmes, la perte sera pour le même laps de deux mois, dimanches déduits, de 4,466,192 francs, et de 224,224 francs de la part des enfans. Le total général représente l’énorme somme de 69,836,908 francs, qui ne se retrouveront jamais.

Dans cet ordre d’idées, point de compensation possible. Bien s’en faut ; par suite des jours perdus, la production sera diminuée, une certaine portion de capital déplacé, ce qui entraînera infailliblement une hausse dans le prix des choses. Les familles ouvrières, comme toutes les autres, éprouveront encore de cette façon le funeste contre-coup des aveuglement de la guerre civile. Fera-t-on valoir la subvention payée aux gardes nationaux ? L’effet dans tous les cas n’en est qu’individuel ; il ne s’applique pas à toute la cohorte déshéritée par la tourmente sociale. Comptons-la cependant pour ceux qui la reçoivent. De ce nombre, il faut excepter les veuves et les filles, qui ne touchent rien, puis aussi les ouvriers qui n’ont pas encore dix-neuf ans, et ceux qui ont dépassé l’âge de l’appel aux armes. Pour les gardes nationaux, elle est de 1 fr. 50 cent, par jour, avec une fraction additionnelle au profit des femmes et des enfans, et certaines distributions alimentaires les jours de service ; mais tous les gardes nationaux n’ont pas d’enfans, d’autres sont veufs. Avec ces restrictions, on ne pourrait guère élever la moyenne de l’indemnité, tout compris, à plus de 2 fr. 75 cent, par homme. Nous la porterons même à 3 francs ; seulement on nous accordera sans peine le droit de supposer qu’elle n’est perçue que par la moitié des ouvriers. Nous aurions alors, — et ici nous forçons les chiffres, car nous ne retranchons ni les plus jeunes, ni les plus âgés, - 145,313 individus qui toucheraient 3 francs par jour. En soixante jours, la somme perçue par eux aurait été, à ce compte-là, de 13,078,170 fr. Voilà donc 13 millions avec près de 70 (69,836,000 f.). Je ne dis rien ni des sacrifices accessoires, ni de la détresse de ceux qui n’ont point participé à la distribution.

Aux dommages matériels que la crise a permis de constater, et sans parler des misères que préparent les destructions de la richesse, il se joint des sacrifices moraux et politiques qui rejailliront sur cette sociabilité française dont nous étions si fiers. Ils sont en opposition radicale avec les aspirations parisiennes. La guerre civile porte en effet dans ses entrailles le mépris de la vie humaine, l’oubli du droit, la prédominance de la force : autant de germes