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vie siècle, le mal prit des proportions hideuses et effrayantes sous la forme des bacchanales. Débauches de toute espèce, assassinats par tous les moyens, faux testament, faux témoignages, voilà quelques-uns des fruits du nouveau culte. L’état comprit qu’il ne pouvait rester indifférent en ces matières. Nous le voyons recourir à plusieurs reprises à des mesures sévères contre les superstitions étrangères, qui, toujours détruites, renaissent toujours.

La faute commise était de ne pas comprendre que, lorsqu’il s’agit des moyens de satisfaire un besoin impérissable, on ne détruit que ce que l’on remplace. Pour combattre les croyances démoralisantes, il n’y a qu’une chose : c’est, non pas assurément d’en imposer, mais d’en proposer de meilleures. On ne sut pas employer ce remède ; aussi la décadence fit-elle des progrès rapides, et on se lassa bientôt de lutter contre elle. La société retombe dans l’enfance, le consentement disparaît ; on est dès lors contraint de le remplacer par la force. Il n’y a plus d’autre gouvernement possible que le césarisme appuyé sur la soldatesque. On retourne à la barbarie, en attendant qu’une nouvelle religion, qui depuis quelque temps se prépare en silence, vienne recommencer l’histoire de la civilisation.

Lorsque, du pied du Capitole, on contemple cette longue place où fut le Forum, on découvre à quelque distance un bâtiment qui doit son nom moderne à ses proportions colossales. Cette coupe gigantesque qui sort de terre, c’est le Colisée, où plus de soixante mille personnes pouvaient aller contempler les martyrs livrés aux bêtes féroces. Cette pâture de chair et de sang est la communion qui s’est substituée aux cérémonies de l’ancien culte, c’est le moyen employé à la fois pour remplacer les vieilles croyances et pour étouffer les nouvelles ; c’est par de tels spectacles qu’on forme les âmes, et qu’on unit les cœurs. Ce bâtiment, dit-on, a été construit par les Juifs, par un peuple qui a tout perdu, même son pays, et qui cependant, dispersé sur le globe, suivit depuis quinze siècles à ses vainqueurs, parce qu’il a su conserver sa religion nationale.

L’histoire n’est pas un vain jeu de l’esprit ; elle nous apprend à connaître les forces sociales, invariables en elles-mêmes, sous l’infinie diversité de leurs manifestations. Elle nous montre comment nous devons nous conduire à l’égard de ces puissances pour nous faire porter vers le but de nos efforts ; mais, pour réussir, il faut encore comprendre les circonstances au milieu desquelles on se trouve, car elles aussi contribuent à déterminer la manière dont on doit s’y comporter.

Henri Brocher

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