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de M. Thiers, c’est que, sans découragement comme sans illusion, il a gardé assez de foi au pays pour ne point douter de son avenir dans de si terribles extrémités, et il a eu assez l’expérience des affaires pour empêcher l’effondrement de ce qui restait de la France, pour limiter l’anarchie avant de la vaincre, pour recomposer peu à peu le terrain où nous sommes, qui n’est certes point encore des plus solides, mais où du moins l’on peut s’affermir un instant avant d’aller plus loin. M. Thiers a marché en homme qui sent et connaît mieux que tout autre la gravité des choses, qui comprend bien qu’il y a des momens où un pays abandonné par le bonheur ne peut lasser la mauvaise fortune que par la prudence, la fermeté et l’esprit de conduite. Ce n’est pas la politique des coups de tête et des coups de main, celle-là la France l’expie assez durement ; c’est la politique d’une vigilante sagesse occupée d’abord à écarter beaucoup de mal pour arriver à faire un peu de bien avec plus de sûreté.

Le mérite de l’assemblée, cette autre force du moment, le mérite de cette assemblée a été jusqu’ici de seconder M. Thiers dans sa politique de patiente et active réparation, et de ne point ajouter à des difficultés déjà bien grandes les difficultés des contestations jalouses. Elle a eu certainement, elle a encore quelquefois l’air de ne rien faire, elle perd du temps à prononcer ou à écouter des discours sur le déplacement de quelques préfets ou de quelques sous-préfets, elle reste livrée, faute d’esprit politique, aux excentricités individuelles et aux tempêtes de fantaisie. Somme toute cependant, elle vaut mieux que la réputation qu’on lui fait, et il y a eu peu d’assemblées portant dans les affaires publiques plus de droiture et de bonne volonté. Avoir eu la courageuse abnégation de ratifier une paix assurément aussi douloureuse pour ceux qui l’ont acceptée que pour ceux qui l’ont combattue, avoir consenti, ne fût-ce que momentanément, à une patriotique abdication de toutes les préférences de parti, être un pouvoir souverain qui sait se contenir, ce n’était pas si peu de chose, et c’est en réalité ce qu’a fait l’assemblée. Le malheur est que dans ces conditions, qui ont un caractère de parfaite sincérité, puisqu’elles sont acceptées par tout le monde, il reste toujours une arrière-pensée, l’arrière-pensée du lendemain, ou en d’autres termes du régime définitif de la France. L’idée ou la passion du définitif est la maladie de certains esprits ; seulement pour ceux-ci le définitif est la monarchie, pour ceux-là c’est la république. Au fond, ce qu’on poursuit, ce qu’on demande, c’est la stabilité des institutions dans la paix reconquise. Il semble aux uns et aux autres que, si on en finissait par un vote tranchant souverainement la question, tout serait résolu. Hélas ! rien ne serait résolu, parce que nous vivons dans un pays qui a toujours sans doute la passion du définitif, mais où l’on