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À deux heures, elle entendit frapper à sa porte, elle y courut, ouvrit, et se trouva dans les bras de Mourzakine, qui, la saisissant comme une proie, la couvrait de baisers.

— Laissez-moi, laissez-moi ! s’écria-t-elle en se débattant ; je vous hais, je vous ai en horreur ! Laissez-moi, vous avez le sang de ma mère sur les mains, sur la figure ; je vous déteste, ne me touchez pas, ou je vous tuerai, moi !

Elle s’enfuit au fond de sa chambre, cherchant avec égarement le couteau dont elle avait coupé son pain pour déjeuner. Valentin, entendant ses cris, était monté — Prince, disait-il, ne l’approchez pas, c’est un transport au cerveau. Je vous le disais bien, elle déraisonne depuis ce matin. Je l’ai entendue dire au médecin qu’elle ne voulait pas rester chez un homme qui avait tué sa mère ; or je vous demande un peu…

— Allez-vous-en ! flanquez-moi la paix, dit le prince en mettant Valentin dehors et en s’enfermant avec Francia. Puis, allant à elle, il ouvrit son dolman en lui présentant son poignard. — Tue-moi, si tu crois cela, lui dit-il ; tu vois ! c’est très facile, je ne t’en empêcherai pas. J’aime mieux la mort que ta haine ; mais auparavant dis-moi qui t’a fait ce lâche et stupide mensonge !

— Elle ! votre autre maîtresse !

— Je n’ai pas d’autre maîtresse que toi.

— La marquise de Thièvre, votre prétendue cousine !

— Elle est fort peu ma cousine, et pas du tout ma maîtresse.

— Mais elle le sera !

— Non, si tu m’aimes ! J’ai été un peu épris d’elle, le premier jour. Le second jour, je t’ai vue ; le troisième, je t’ai aimée : je ne peux plus aimer que toi.

— Pourquoi dit-elle que vous avez tué…

— Pour t’éloigner de moi, elle est peut-être piquée, jalouse, que sais-je ? Elle a menti, elle a arrangé l’histoire de tes malheurs, qu’il m’a bien fallu lui raconter le jour où tu es venue me parler chez elle ; mais je peux te jurer par mon amour et le tien que je n’étais pas à l’endroit où tu as été blessée, et où ta mère a péri !

— Elle a donc péri ! Vous le saviez, et vous me trompiez !

— Devais-je te mettre la mort dans l’âme quand tu conservais de l’espérance ? D’ailleurs est-on jamais absolument sûr d’un fait de cette nature ? Mozdar a vu tomber ta mère ; mais il ne sait pas, il ne peut pas savoir si elle n’a pas été relevée vivante encore, comme tu l’étais après l’affaire. J’ai écrit, nous saurons tout. Je ne t’ai jamais dit de compter sur un bon résultat ; mais tu dois savoir que je suis humain, puisque je t’ai sauvée, toi !

Francia sentit tomber sa fièvre et sa colère. — C’est égal, dit-