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légèreté et de son indifférence ; mais le peuple n’est pas indifférent à sa nationalité, c’est là une question qui le préoccupe, qu’il juge très nettement, et l’opinion qu’il s’est faite sur ce point, bonne ou mauvaise, quand on le consulte par le vote public, il l’exprime sans hésitation. Plusieurs patriotes alsaciens, qui n’admirent sur leur liste ni M. Gambetta, ni M. Jules Favre, avaient pensé qu’une manifestation trop éclatante aurait pour effet d’attirer sur la province la colère immédiate de la Prusse ; le pays ne fut pas si prudent, et au point de vue seul de ses intérêts la raison était de son côté. Il est vrai qu’au premier moment le gouverneur frappa l’Alsace d’une contribution extraordinaire très dure, puisqu’il imposa aux Alsaciens une taxe extraordinaire de 25 francs par tête ; mais cet impôt n’a pas été perçu et ne le sera pas : il n’était qu’une menace. Il est évident que l’empire d’Allemagne désirera dans un délai peu éloigné, atténuer ou détruire l’impression du vote du 8 février par d’autres votes partiels ou généraux. Il se voit forcé de plus en plus de chercher à conquérir les sympathies de l’Alsace, et, bien qu’il y doive mettre beaucoup d’habileté, instruit par le passé de ce que produit la rigueur, il ne se contentera pas d’être actif et ferme, il fera aux habitans des avantages sérieux ; il essaiera par de véritables bienfaits de leur faire oublier les duretés de la conquête. Ainsi les élections du 8 février devaient être pour le grand-chancelier un moyen de savoir au juste les sentimens de l’Alsace ; il lui importait de connaître ces sentimens pour la conduite à tenir par la suite : l’illusion sur ce point, c’est-à-dire l’erreur, n’était d’aucune utilité, et peut-être trouvons-nous là le motif pour lequel M. le prince de Bismarck a permis à l’Alsace de manifester son opinion comme le reste de la France ; il n’y a que les politiques trop faibles pour voir les choses telles qu’elles sont qui préfèrent l’ignorance à un échec qui les instruit.

À la fin du siège, le 27 septembre à 5 heures, quand les batteries autour de Strasbourg s’arrêtèrent tout à coup, ce silence glaça d’effroi ; bien des cœurs eurent comme un pressentiment de la mort. Pendant des semaines, le danger avait été de tous les instans ; maintenant il planait sur la ville quelque chose de plus terrible : tout était-il fini ? l’œuvre était-elle consommée ? Le jour de la capitulation, même pour les enfans, même pour la foule la plus ignorante, fut le plus triste de tous les jours. Que de fois depuis, à mesure que le moment du traité approchait, la ville a regretté ces heures si dures du siège ! Alors du moins on ne savait rien, et l’espérance pouvait vivre dans les cœurs. Depuis, on s’était dit qu’on avait du courage, qu’on ferait bonne figure à la nécessité, que le mal était inévitable et qu’on était prêt ; mais qui donc peut se flatter d’être jamais prêt ? L’Alsace a suivi avec angoisse tous les détails