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roïsme empruntés à tous les peuples, mais surtout au peuple allemand, — des exemples de désintéressement, de vertus civiques, de charité chrétienne, — quelques maximes faciles à retenir, en un mot tout ce qui peut développer dans ces jeunes âmes l’amour de la patrie et le sentiment du devoir.

Mais là ne se borne pas la tâche du magister ; dans la pensée des réformateurs de l’instruction publique, en Prusse, après Iéna, l’école devait être un lieu de propagande ; on n’y apprend pas seulement l’amour de la patrie, on y enseigne encore la haine de la France. L’enseignement historique est tout conçu dans cet esprit : au lieu de laisser les enfans s’attarder, comme on fait chez nous, dans les temps anciens, au lieu de charger leur mémoire d’un bagage de noms propres et de faits dont il ne leur restera bientôt rien, on les jette en pleine histoire contemporaine, on les conduit à Iéna, à Leipzig, à Waterloo, sur tous les champs de bataille arrosés de sang allemand ; on leur fait, dans le dernier détail, le récit des diverses invasions françaises ; on met incessamment sous leurs yeux le tableau des excès et des déprédations de toute nature commis par nos soldats dans les guerres de la république et du premier empire ; bref on dépose dans leur cœur les germes de cette haine sauvage et réfléchie, barbare en même temps qu’ingénieuse et raffinée, dont notre malheureuse France vient d’éprouver les terribles effets.

Élevés dans ces principes et dans ces sentimens, soumis à ce régime, en apparence si propre à développer en eux l’amour du bien, les Allemands nous seraient bien supérieurs, si toute cette vertu, résultat de leurs habitudes sociales et de leur éducation, n’était corrompue par une hypocrisie naturelle et un manque absolu de générosité. Le mysticisme cafard du roi Guillaume et la tartuferie bonhomme de son premier ministre sont célèbres aujourd’hui dans le monde entier. Qui n’a présentes à l’esprit ces fameuses dépêches du roi à la reine Augusta qui commençaient toutes par cette phrase sacramentelle : Le bombardement des forts de la rive gauche continue avec de bons résultats, et qui se terminaient invariablement par une invocation à la Providence ? Qui ne se souvient des circulaires de M. de Bismarck en réponse aux factums de M. de Chaudordy ? Tout le monde a lu ces pages pleines de sous-entendus, de réserves, d’escobarderies, qu’on dirait rédigées par un casuiste plutôt que par un homme d’état. La tartuferie n’est pas seulement dans les usages de la diplomatie allemande, elle est dans les mœurs et dans le tempérament de la nation ; aussi faut-il se défier de ce premier mouvement d’admiration qu’on éprouve à regarder superficiellement les hommes et les institutions. En arrivant à Bonn, nous fûmes tout surpris du calme,